"LA NOTION DE L’AMOUR SELON JEAN GUITTON"
LES DIFFERENTES CONCEPTIONS DE L’AMOUR SELON CERTAINS PENSEURS
I.0. Introduction partielle
Chaque
personne humaine, d’une manière ou d’une autre a besoin d’aimer et de se sentir
aimé quelle que soit la forme que l’amour prendra. La flèche d’aller a toujours
besoin d’une flèche de retour. Quant aux enfants, le manque d’amour prive le petit
enfant d’un élément vital irremplaçable. Le concept « amour »
est l’un de plus galvaudé dans toutes les langues du monde. Il est souvent
réduit à la génitalité, on dit alors platement « faire l’amour », ce
même concept ramène à l’amour physique ou à l’amour sentimental. Mais pour ne pas réduire la richesse de ce mot à
la génitalité on distingue clairement Eros et Agapè.
Dans
le dialogue Le Banquet, Platon raconte qu’ « Eros » (l’Amour)
est fils de « Poros »(Richesse) et de
« Pénia »(Pauvreté) : l’amour pauvre dans la mesure où il désire
ce qu’il ne possède pas. C’est cet aspect qui explique le dynamisme du
désir ; mais il est aussi la richesse du bonheur et de la plénitude intérieure.
Ce double aspect de richesse et de dénuement est psychologiquement très
caractéristique de l’amour.[1]
I.1. L’Amour selon Platon
Différents
penseurs ont parlé de l’amour et chacun
l’a abordé selon sa vision. Avec Platon, nous avons découvert ce qu’il entend
par l’amour. Disons d’avance que « Le Banquet » n’est pas le seul
ouvrage où Platon ait traité de l’amour. La Plus grande et la plus belle partie
du Phèdre est consacrée à la même question. Quant à ce qui concerne Le Phèdre,
Platon y rapporte deux espèces d’amour, l’amour vulgaire et l’amour
honnête :« L’amour vulgaire, qui ne vise
qu’au plaisir, est égoïste, jaloux, tyrannique ; il ne va jamais sans
injures et querelles violentes et il aboutit fatalement à la brouille et à
l’abandon. Et concernant l’amour honnête, celui-ci correspond à l’amour
céleste, serviteur de l’Aphrodite céleste »[2].
Dans
Le Banquet de Platon, nous trouvons une autre explication de l’amour.
L’homme veut se survivre à lui-même, et tous les travaux des ambitieux et des
artistes ont pour but l’immortalité, mais leurs efforts ne perpétuent que leur
nom, tandis que l’amour perpétue l’homme lui-même dans ses enfants. Voilà
pourquoi c’est un sentiment universel, qui gouverne non seulement les hommes,
mais tous les êtres vivants. En parcourant cet ouvrage de Platon, nous nous
sommes rendu compte que la génération est définie dans la beauté, et
est rattachée au désir d’immortalité qui travaille tous les êtres vivants. C’est
pourquoi Platon dit : « L’amour est un instinct physique qui vise à la
perpétuité de l’espèce ; la vertu relève de la conscience et recherche la
perfection individuelle ; enfin la science naît de la curiosité et a pour
but la connaissance»[3].
Aux
yeux de Platon, l’amour de la femme est un amour inférieur ; seul, l’amour
de l’homme pour l’homme est digne de séduire une âme généreuse, née de la
philosophie. Il est vrai que cet amour doit avoir pour but l’enfantement de la
science et de la vertu dans l’âme du bien-aimé. Platon prétend que la
génération charnelle n’est que le premier degré de l’amour, qu’une âme bien née
doit s’élever de l’amour des corps à l’amour des âmes puis de l’amour des
sciences, pour culminer dans l’amour de
la beauté absolue.
I.2. L’Amour selon Louis Lavelle
Métaphysicien
qu’il est, Lavelle nous offre sa vision sur l’amour.
I.2.1.
Amour et Volonté
Pour
Lavelle, l’amour est un consentement de tout notre être qui ne consulte pas la
volonté, mais qui l’ébranle jusqu’à la racine. Lorsque nous découvrons tout à
coup sa présence, il est trop tard pour choisir. Et pour le reconnaître qu’il
est là, c’est que notre volonté, bien qu’elle se sente troublée, n’a plus de forces contre lui. Louis Lavelle
renforce cette idée en disant :« Il
ne faut pas espérer surmonter l’amour par un effort de volonté. Car l’amour est
le vœu le plus profond de tout notre être. Mais il faut creuser notre âme assez
avant pour qu’il ne puisse naître en elle qu’un amour dont notre volonté ne
soit humiliée »[4].
I.2.2.
Développement de l’amour
Etant
donné que beaucoup de choses dans la nature sont appelées à une croissance, il
est de même aussi pour l’amour à pouvoir se développer. Nous avons souvent la
croyance telle que l’amour naît dans l’âme sans qu’elle l’ait cherché comme y
naissent les idées. Et comme elles, quand on le cherche, il semble nous fuir.
Ainsi l’amour suppose toujours une
attente et un consentement intérieur, bien différents de ces vains efforts du
désir qui le chassent en croyant l’appeler. Et comme celui qui attend les idées
avec une humble patience les voit s’offrir peu à peu à lui et engager avec lui
un dialogue spirituel, celui qui montre à l’amour assez de confiance pour ne
pas le presser de venir à lui, ne s’étonne point de le voir tout à coup éclore
dans son cœur et éveille un écho. A ceci Lavelle ajoute :« Il
arrive que l’amour le plus fort ne soit pas celui qui se découvre à nous
soudainement, mais celui qui, sans paraître nous consulter, s’insinue en nous
lentement en cheminant sous nos yeux »[5].
L’amour
est toujours un acte. Et quand il cesse de l’être, il cesse d’être. L’amour qui
ne se préoccupe pas constamment de lui-même, de se maintenir et de s’accroître,
est voué à disparaître.
I.3.
L’Amour selon PIERRE BURNEY
I.3.1. Les
fondations de l’amour
I. 3.1.1. La part animale de
l’amour
Il
est vrai que l’étude des animaux et la part animale de nous-mêmes pour éclairer
certains aspects de l’amour humain est importante. En effet, Pierre Burney
renforce cette idée en disant :« Nous sommes des
animaux, nous dit R. de Gourmont (physiologie de l’amour). Et quant nous
faisons l’amour, c’est bien, selon l’expression des théologiens, more
bestiarum. L’amour est profondément animal : c’est sa beauté »[6].
Disons
que les références animales nous montrent, sous leurs formes
« brutes », les manifestations de la pudeur et de la coquetterie. Les
animaux ont certaines conduites qui nous aident également à comprendre les
origines de la « cour » que l’on fait aux femmes, les préludes à
l’amour, les caresses et jusqu’à l’importance du regard, toucher spécial dont
les poètes ne se sont pas lassés de chanter le rôle primordial dans la découverte
mutuelle et dans l’union. Le sentiment de la propriété sur les femmes, ainsi
que la jalousie qui accompagne, le renouvellement de l’excitation érotique par
le changement de partenaire, le caractère « contagieux » de la
sexualité et les conflits violents qui accompagnent habituellement toute
activité sexuelle collective, voilà quelques éléments qui nous mettent en
liaison avec le règne animal ou que nous héritons du règne animal.
I.3.1.2. Des racines plus profondes de
l’amour
Les
racines que nous voulons donner ont une
référence animale. Le verbe « aimer », disons-le, qu’il s’applique au
désir de la nourriture comme à la faim des êtres : la faim, écrit Jean
Rostand, est l’amour sous sa forme la plus brute et la plus primitive. On songe
à cette phase « cannibalistique » si bien décrite par certains
psychanalystes, pendant laquelle le bébé encore au sein paraît vouloir dévorer
le corps de sa mère.
I.3.2.
La croissance de l’amour
L’amour
subit une certaine croissance
c’est-à-dire que c’est un passage de l’égoïsme à l’altruisme. « L’idée
de Platon écrit Jean Guitton reste vraie : l’amour est à la
fois générateur et éducateur, « l’éducation n’étant
peut-être point autre chose que la présence continuée de l’amour autour de ses
effets ». On ne peut pas dire pour autant à
l’éducateur : « Aime, et fais ce que tu
voudras ! » »[7].
En
nous référant aux différents stades par lesquels l’enfant passe tout au long de
son développement, nous dirons qu’il ya une nouvelle étape qui est franchie
lorsque l’enfant généralement avant la quatrième année, découvre la sensibilité
spéciale de ses organes génitaux, et l’enfant a la révélation de la distinction
des êtres en deux sexes. Pendant cette période délicate, l’enfant commence face
à ses parents l’apprentissage de l’amour. Il convient d’ajouter aussi que
l’amoureux, sans cesse de s’aimer lui-même, recherche également le bonheur de
l’autre, et va parfois jusqu’à préférer ce bonheur au sien. Teilhard de Chardin
conclut en disant : « seul l’amour est capable d’achever les
êtres, en tant qu’êtres, en les
réunissant »[8].
I.4. L’Amour selon Jean Lacroix
Sans
doute le mot a plusieurs sens. Les psychologues distinguent volontiers l’amour
captatif, qui veut posséder l’objet, l’amour oblatif, où l’aimant renoncé à
lui-même en faveur de l’être aimé pour être en quelque sorte possédé par lui,
et l’amour de communion, où le centre de gravité de la relation amoureuse n’est
dans aucun des deux partenaires mais où chacun se considère partie d’un tout
qui les transcende l’un et l’autre , et les
fait être réciproquement dans la
mesure où ils y participent. Mais il est bien clair que le véritable amour
c’est l’amour oblatif et l’amour de communion ou plutôt ce qu’il ya d’oblatif
et de communion dans tout amour. Lacroix nous propose son idée concernant la
notion de l’amour en disant ce qui suit :
« L’amour
ne rend pas aveugle mais clairvoyant, répétait Max Scheler trois siècles après
Pascal. Ce qui, en effet, le caractérise avant tout, c’est sa pleine conscience
de la personnalité de l’autre. Longtemps on n’a voulu voir dans l’amour qu’un
mouvement plus ou moins désordonné de la sensibilité »[9].
La
psychologie moderne décèle dans l’amour l’instrument le plus parfait de la
connaissance d’autrui : c’est le sens de l’autre. Si la connaissance pure
est le rapport sujet-objet, l’amour est le rapport sujet-sujet. Disons que ce
que nous révèle en effet l’amour, c’est que nous ne sommes que par autrui et
que le monde même n’existe que pour ceux qui sont à deux. A ce sujet :
« L’élément fondamental de l’amour déclare Jean Lacroix est le
désintéressement, c’est-à-dire l’affirmation de la valeur absolue de celui que
l’on aime : l’amour est un don de la volonté entraînant une subordination
totale de la nature qui dépend de cette volonté »[10].
Le
renoncement à toute satisfaction narcissique est donc la condition absolue de
l’amour authentique. Au-delà de toutes les qualités périssables et changeantes,
l’amour porte donc sur la personne elle-même : par opposition à la
connaissance qui vise le général, il est la révélation de l’unique. Aimer ce
n’est point se regarder l’un l’autre, mais regarder ensemble la même chose,
avancer dans la même direction. Comme la personne est foncièrement vouée à
l’amour, ainsi le but de l’amour est-il de constituer les personnes : ce
ne sont pas les êtres singuliers qui produisent l’amour, mais l’amour qui les
produit.
I.5. Conclusion partielle
Dans
ce chapitre, il a été question d’expliquer les différentes conceptions de
certains penseurs sur l’amour. Et nous nous sommes rendu compte que chacun l’a
abordé à sa manière, mais tous essayent de privilégier l’idée de l’unité, de la
complémentarité. L’amour véritable abolit toutes les séparations. Il nous
apaise et il nous éclaire ; il établit l’unité dans notre âme en nous
unissant avec un autre être et, par lui, avec tout l’univers. L’amour en
définitive cherche dans un autre un complément qui le fasse être davantage. « L’être
de l’amour déclare Lacroix est un être de relation, un « nous » dans
lequel et par lequel se réalise, autant qu’il se peut, l’unité parfaite. Mais
dans cette unité, chacun reste lui-même »[11].
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