SCOLASTICAT
BX JEAN XXIII
B.P.470 KOLWEZI /KATANGA
République Démocratique du Congo
Affilié à l’Université Pontificale Antonianum de Rome
LUNGAYI LEMBE Michel
L’UBRIS ET L’IMAGE DE DIEU DANS
LE PREMIER RECIT DE LA CREATION
Dissertatio ad Baccalaureatum
Moderator : Père Georges
MBAYO
Kolwezi, 2013
SCOLASTICAT
BX JEAN XXIII
B.P.470 KOLWEZI /KATANGA
République Démocratique du Congo
Affilié à l’Université Pontificale Antonianum de Rome
LUNGAYI LEMBE Michel
L’UBRIS ET L’IMAGE DE DIEU DANS
LE PREMIER RECIT DE LA CREATION
Dissertatio ad Baccalaureatum
Moderator : Père Georges
MBAYO
Kolwezi, 2013
Et Dieu dit :
« Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance… A l’image de
Dieu, il LE créa homme et femme… » (Gn 1,26-28)
« Pourquoi tant de violence dans la
Bible ? Pourquoi tant d’êtres violents au fil de ses pages ? Pourquoi
son Dieu ne cède-t-il pas en rien aux humains sur ce plan ? » (A.
Wénin, La Bible ou la violence surmontée
p.19)
« L’humain achève
en lui l’image de Dieu dans le mesure où, maîtrisant sa propre maîtrise de
manière à en contenir la violence, il contribue à la création d’un monde
pacifié, avec douceur qui est renoncement aux illusions de la surpuissance et
ouverture dynamique à l’altérité » (A. Wénin, Pas seulement de pain,
p.34).
DEDICACE
A vous
chers parents, Barthélémy LEMBE LUBANGI et Félicienne MBU LUKONGO, pour nous
avoir appris à confesser la foi catholique.
A vous les
amis et connaissances pour vos soutiens tant matériels que spirituels
A vous
tous,
Nous
dédions ce travail
AVANT-PROPOS
Que soit béni Dieu notre Père, pour la
force, l’intelligence et le courage qu’il nous a toujours donnés dans notre
vie.
Nous témoignons de notre gratitude à toute
la famille Salvatorienne (tous les fils et filles spirituels de Père Jordan),
en particulier à la branche masculine, dont Père Paulin MONGA est supérieur
provincial. Notre gratitude va aussi tout droit vers nos formateurs de la
Maison Salvator de Tshabula, à savoir Père Emmanuel PANGANI, Père Didier LONGWA
et Père Paul WEY. Nos remerciements sont aussi adressés à tout le corps
professoral du scolasticat Bienheureux Jean XXIII pour la formation
intellectuelle qu’il nous a donnée.
Nos remerciements s’adressent surtout au
Père Georges MBAYO qui, malgré ses multiples occupations, a accepté de diriger
ce travail. Que la bénédiction de Dieu l’accompagne au long de sa vie.
Nous pensons aussi à toute notre famille
biologique et à toutes nos connaissances. Nous ne pouvons pas oublier tous les
frères de la Maison de formation de Tshabula, en particulier les compagnons de
lutte : Serge LUMBWE et Joseph SADIKI ; mais aussi tous les collègues
de classe franciscains et spiritains.
Michel
LUNGAYI LEMBE, sds.
INTRODUCTION
GENERALE
S’investiguer dans la recherche de l’image de Dieu
dans le premier récit de la création est un choix qui est motivé par la
découverte criante de la violence dans le monde. Nous remarquons aujourd’hui
qu’il y a tant de violence dans le monde : des guerres, des violences
sexuelles, des injustices criantes, des tricheries, bref de l’Ubris. La
violence paraît la solution à tout problème dans le monde : les pays se
terrorisent mutuellement par l’enrichissement en uranium, la fabrication des
armes. L’Afrique devient un continent de
bataille où les guerres ravagent la vie des populations. Nous y notons la
destruction de certaines villes au profit de l’exploitation minière des
investisseurs étrangers (cas de Kolwezi avec l’implantation des Mining où il y a la pollution de l’eau
et surtout de l’air), les injustices sociales… Le monde semble être composé de
l’Ubris.
Dans ces conditions, nous ne pouvons pas rester
indifférent. C’est ainsi que nous nous sommes donné la peine de chercher une
solution à ce problème.
Notre sujet est : l’Ubris et l’image de Dieu dans le premier récit de la création. Que
signifie Ubris ? C’est un terme grec qui signifie : bouillonnement
interne, pulsion, violence, viol, guerre, massacre, destruction, … Et l’image
de Dieu ? Ce concept image de Dieu
est tiré du premier récit de la création de la phrase : faisons l’homme à notre image et à notre
ressemblance (Gn 1, 26-27), à l’image
de Dieu il le créa homme et femme. Suivant nos investigations, l’image de
Dieu qui se dessine dans le premier récit de la création est un Dieu douceur, un Dieu qui maîtrise sa
propre maîtrise. Etant donné que l’affirmation : l’homme est créé à l’image de Dieu (Gn 1, 26), n’est pas une possession,
mais une acquisition, une vocation, l’homme doit donc dans ce sens, imiter
cette image de Dieu, pour devenir à son tour maîtrise de sa maîtrise, douceur.
Dans ce sens, comme il est l’acteur de la violence dans le monde, il y sera
acteur de la non-violence. Il saura ainsi maîtriser sa nature violente et
produira de la lumière dans un monde obscurci par la violence.
Il nous semble que ce terme ύβρίς exprime d’une certaine façon ce qu’est l’impact de l’activité
humaine dans le monde. Dans le registre de ses actions, on trouve le vol, le
viol, la guerre, la destruction méchante,… toutes ces actions peuvent être
comprises sous le concept d’ύβρίς.
Mais dans notre parcours de formationthéologique nous
avons été saisi par cette phrase : « l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Cette phrase
nous la trouvons dans le premier récit de la création (Gn 1, 26-27). Mais que
veut dire « être créé
à l’image de Dieu ? ». Dit de manière un peu précipitée, nous
affirmons que tout homme est imbu de
l’ύβρίς. Serait-ce cet ύβρίς qui fait que l’homme soit créé à l’image de
Dieu ? Point n’est besoin de se voiler la face devant l’action humaine
dans ce monde. Elle est caractérisée par des grands progrès pour l’humanité sur
plusieurs plans. Des progrès scientifiques ont amélioré considérablement la vie
de l’homme : sa santé est mieux entretenue et
« prolongée » ; beaucoup de facilités dans l’exercice de ses
activités. Il produit plus et en peu de temps. Son action par rapport aux
siècles passés a remarquablement amélioré son mode de vie. Notre intention
n’est pas d’énumérer toutes les avancées qu’il a pu réaliser, mais de constater
qu’il y a aussi des choses dans sa vie qui n’ont bougé d’un seul millimètre.
C’est entre autre la destruction méchante qu’il réalise dans ce monde. L’homme
est, depuis les origines, non seulement capable mais souvent auteur de vol,
viol, guerre, tuerie, tricherie… Sur ce plan, il n’est quasiment pas différent
de l’homme du premier ou du cinquième siècle.
Il est vrai que ce n’est pas chaque personne qui pose ces actes dans son
existence quotidienne. Mais ces actes semblent bien une constante dans la vie
humaine de tous les siècles. Sommes-nous en droit de nous poser des questions
là-dessus ? Quel rapport, si rapport il y a, existe-t-il entre cet aspect
de la vie humaine et l’image de Dieu dans le premier récit de la création dans
le livre de la Genèse ? C’est cette question quifera la problématique de
notre travail.
Wénin affirme que la Bible nous présente les images de
Dieu à interpréter par l’homme dans le quotidien de sa vie. Dans ce sens,
parler de l’image de Dieu dans la Bible devient une question vaste, car la
Bible est composée de plusieurs livres. Il convient alors de délimiter notre
travail. Nous parlerons de l’image de Dieu dans le premier récit de la
création. Ce récit dans la Bible est situé dans le livre de la Genèse. Il va
précisément de Gn 1, 1 jusqu’à 2, 4.
Nous justifions cette péricope de la manière que
voici :
-
Le début du texte : le texte commence par la
phrase : Au commencement, Dieu créa
le ciel et la terre….. Le choix de ce début est motivé par : le fait
que le récit est situé au début de la Bible et donc, il n’y a aucun récit qui
le précède, mais aussi par son début par le terme au commencement. Ce terme montre qu’il s’agit bien d’un début de ce
qui suit.
-
La fin du texte : le récit finit par : telle est la naissance du ciel et de la
terre. Cette conclusion confirme le début du récit dont l’intention est de
présenter la création du ciel et de terre. Cette fin est aussi justifiée par le
texte qui suit. En effet, le verset 5 de ce chapitre, commence par : le jour où le Seigneur Dieu fit la terre et
le ciel… Cette formule montre que c’est une autre péricope qui commence.
Mais aussi dans la suite avec le changement de personnage, de style, nous
comprenons vite que c’est un autre récit.
Pour nos investigations, nous avons exploité plus
exploité les deux livres d’A. Wénin : La
Bible ou violence surmontée et Pas
seulement de pain.
Dans notre travail, nous avons utilisé la méthode de
l’analyse narrative. Cependant, la méthode historico-critique a été aussi
quelques fois utilisée à certaines parties de notre travail.
Hormis cette introduction générale, notre travail se
subdivise en trois chapitres. Dans le premier chapitre il sera question de
l’étude de l’Ubris dans le monde et ses conséquences. Le deuxième chapitre
traitera de l’analyse narrative du premier récit de la création et la
découverte de l’image de Dieu maîtrise de
sa maîtrise. Le troisième chapitre traitera des implications de cette image
dans la violence du monde. Enfin, une conclusion générale terminera notre
travail.
Dans le monde d’aujourd’hui, nous constatons à travers
les médias, dans les rues et dans les cités une violence exagérée.
Régulièrement, nous suivons à la Télévision, à la Radio des informations qui
parlent de la violence : des guerres, des attentats avec destruction des
bâtiments, des violences sexuelles, de la pédophilie, des avortements… Dans des
écoles et dans des universités, nous remarquons un slogan : PST :
points sexuellement transmissibles pour parler de la corruption qui passe à
travers des relations sexuelles. Dans cet état des choses, on se demande si le
monde n’est que de la violence.
Chez nous en RDC, chaque jour l’on nous parle au
journal télévisé d’un certain nombre des gens qui sont morts à l’Est dans la
guerre. Tout ce que nous suivons montre en fait que l’homme est violent. Et
pourtant dans le premier récit de la création il est affirmé que : l’homme est créé à l’image de Dieu (Gn
1, 26-27). Serait-ce cet agissement qui refléterait l’image de Dieu ?
a. Au cours de l’histoire
Si nous interrogeons l’histoire du monde, nous
remarquons que de l’Antiquité jusqu’à l’époque actuelle (que d’aucuns nomment
la post-modernité), il y a une
histoire pleine de violence : des guerres, des violences sexuelles faites
aux mineurs, aux femmes, des destructions méchantes de certains patrimoines
publics, des régimes politiques de dictatures, … C’est dans ce sens que
Schootyans, quand il s’agit des multinationales, parle « d’un système qui ruine la vie politique,
détruit en sa racine tous les corps intermédiaires, musèle la société civile,
intronise un volontarisme juridique totalitaire d’extension mondiale »[1]. A Jean Marie
Lustiger d’ajouter : « Notre
civilisation joue avec la violence et la mort »[2].
L’histoire du monde évolue dans la logique du « grand domine ». C’est un peu comme
aujourd’hui, où c’est celui qui a un armement fort qui domine les autres et
peut en faire le marchepied de son trône. Une civilisation devient grande après
la conquête de plusieurs territoires à travers des batailles quelques-fois
sanglantes en cas de résistance de l’adversaire. La guerre engendre
naturellement d’autres conséquences méchantes : le viol, la destruction
méchante des infrastructures, des tueries des innocents généralement.
1. La Révolution
Française : elle est elle-même fruit d’un système politique
désastreux, des inégalités sociales et fiscales, d’une crise économique, des
réflexions philosophiques. Bref, elle est fruit de la violence. Parmi les conséquences qui en sont
ressorties : la suppression de la compagnie de Jésus qui jouait un rôle
important dans l’Eglise et le vote des lois anticléricales qui dépossédaient
l’Eglise de ses droits ; les rois étaient guillotinés.
2. La Première Guerre Mondiale :
De 1914 à 1918, nous avons : « quatre années de combat sanglant et de
destruction »[3]. Ces années
auront mis aux prises 65 millions de combattants faisant parmi eux 8 millions
de morts auxquels s’ajoutent des millions de victimes civiles. Cette guerre
sera plus ou moins dépassée avec les traités de paix, mais fort
malheureusement, elle reprendra vers la fin des années 39 jusqu’en 1945 comme
seconde guerre mondiale.
3. La seconde Guerre Mondiale :
Adolphe HITLER et le nazisme nous conduisent à
l’exaltation de la race allemande sur les autres races. Ils proclament aussi la
primauté de la nation sur l’homme. Adolphe HITLER« engage une persécution systématique contre les organisations
confessionnelles et contre la presse catholique »[4]. Les nazis
multiplient des violences sexuelles, des tueries, bref un déchainement de la
violence. Cette guerre finit grâce
aux efforts depaix avec la création de l’Organisation des Nations Unies
contre des guerres.
4. Les guerres en
Afrique :
L’Afrique a été victime au 16e siècle de la
traite des noirs par laquelle les africains n’étaient non seulement pasvendus
aux blancs à de vils prix (un sac de sel pour autant d’hommes), mais aussi
soumis à des travaux lourds avec fouet.
Depuis 1885 avec la Conférence de Berlin, l’Afrique
était partagée entre les colonisateurs. Les limites des frontières d’Afrique
sont : « Le fruit
des négociations où n’entraient nullement en compte les formations ethniques en
place c’est ainsi que les anciennes entités politiques ont été dispersées
»[5]. Ce qui a
engendré des conflits tribaux qui sont vécus jusqu’aujourd’hui.
5. Les conflits
armés en RDC :
Depuis un temps, la RDC vit dans une forte
crise ; elle est le théâtre de plusieurs conflits armés. D’abord nous
notons la guerre de libération amorcée par Mzee Laurent Désiré Kabila contre la
« dictature » du Maréchal Mobutu. Ce dernier a été au pouvoir pendant
32 ans soutenu par un parti politique : le MPR. Pendant son règne, nous
noterons : la guerre de Kolwezi en1977. Il y a eu mort de beaucoup de
personnes. Pendant ces années de dictature du Maréchal, il y avait aussi les
conflits tribaux en particulier celui Katangais-Kasaïens.
A la prise du pouvoir de Kabila père, il y a eu un
petit temps d’accalmie. Les hostilités ont repris quelques mois après avec la
guerre d’agression du Rwanda contre la RDC. Depuis lors il n’y a que des
guerres qui se succèdent pour des intérêts privés. Le nombre des morts est
évalué aujourd’hui à plus ou moins 5 millions de Congolais, sans compter les
destructions des bâtiments, des violences sexuelles dont sont victimes les
femmes, des pillages des matières premières, des enfants sans logement ni
éducation, ….
Après ce constat, il y a lieu de se demander si c’est
la violence qui est l’image de Dieu que l’homme doit imiter dans sa vie sur la
terre. Comme si cela ne suffisait pas, cette violence est aussi remarquée dans
la relation de l’homme avec les innocents.
b. Dans ses relations avec les êtres innocents
Le pape Jean-Paul II a affirmé à ce sujet que : « le problème des menaces contre la vie humaine
dans notre temps a fait l’objet du consistoire des cardinaux (…). Les cardinaux
m’ont demandé de réaffirmer l’inviolabilité de la vie humaine »[6]. Le Pape a remarqué qu’il y a aujourd’hui des êtres
humains faibles et sans défense qui sont bafoués dans leur droit fondamental à
la vie, en particulier les enfants encore à naître.
Les avortements et les bébés éprouvette sont une
atteinte violente à l’endroit des innocents. En effet, le fœtus n’a pas de
statut juridique selon certains qui le considèrent comme une partie de la
femme. Celle-ci, pour une raison ou une autre, peut l’évacuer selon sa volonté.
Il existe aujourd’hui des hôpitaux réputés abortifs qui accueillent toutes
celles qui ont la volonté d’avorter en leur prescrivant des médicaments qui les
aident à le faire facilement. Avorter, c’est quand même tuer un être !
C’est une violence qui serait comparable à une tuerie armée.
Une autre difficulté que le monde actuel nous
présente, c’est celle de la pédophilie ou abus sexuel aux mineurs. Au journal
télévisé, nous ne manquons pas de suivre des informations sur les cas de ce
genre. Les enfants, garçons ou filles, sont victimes de ces actes violents.
L’Eglise catholique en a payé très cher, car ses pasteurs ont été auteurs de
ces actes malheureux.
Cette violence humaine se constate même dans la façon
de traiter la nature.
Du point de vue de la relation entre l’homme et la
nature, nous notons aussi de la violence. Deux tendances se dessinent : la
première qui condamne l’homme, affirme que : « l’homme est à l’origine de la catastrophe par
sa conduite écologique inconsidérée, il entraîne l’humanité toute entière dans
le chaos »[7]. Et la seconde
qui innocente l’homme affirme que la catastrophe est dans l’ordre de la
nature, elle réside en ses lois. Ce que nous vivons aujourd’hui était déjà
prévu depuis 8000 ans.
Selon la première tendance, on peut expliquer le
déluge, la destruction de Sodome et Gomorrhe, la sécheresse à l’époque d’Elie
comme les conséquences du péché de l’homme. L’homme dans sa toute puissance
semble maîtriser la nature, ainsi, il la traite à son gré, oubliant qu’il est
aussi une nature. La nature maltraitée par l’homme, réagit sur lui. Par
conséquent, ce n’est que par un retour à l’ordre moral que la situation va
s’améliorer.
Qu’est-ce que la nature ? C’est l’animal, le
végétal et le minéral que l’homme utilise à son gré pour satisfaire ses
besoins.
Benjamin Kayeu définit la crise écologie comme : « les actes destructifs de l’homme à l’égard de
la nature, de la cruauté humaine envers l’écosystème qui se solde par un
déséquilibre environnemental »[8]. L’environnement
dont il parle est celui du sol, du sous sol, de l’eau et l’environnement
aérien. Cette situation est une réalité dans certains coins de Kolwezi où
l’exploitation artisanale a pollué toutes les rivières, l’air et donc, tous les
êtres qui y habitent aussi.
Pour Laurent Larcher, l’écologie a un lien avec une
croyance en une divinité qui, à son tour, engendre une espérance en un avenir
après la mort chez les croyants. Ainsi, la destruction environnementale : « réunit ceux qui n’ont aucune perspective après
la mort »[9]. Pour dire que
le mauvais traitement de la nature est lié à un égoïsme criant de l’homme face
à d’autres créatures, mais aussi et surtout au manque d’une croyance en un
avenir au-delà de la mort. Car le propre d’une croyance est de faire de la vie
une réalité éternelle. Et cette situation crée souvent une angoisse chez
l’homme qui s’imagine sans avenir après la mort.
Après ce tour d’horizon, nous avons l’impression que
la vie est faite de la violence. Et c’est l’homme à qui Dieu a donné la
responsabilité du monde dans le livre de la Genèse qui en est l’acteur. Cette
situation devient encore grave quand cette violence s’observe dans la Bible au
point qu’on parle même des pages déconcertantes de la Bible.
André Wénin se pose ces questions : « Pourquoi tant de violence dans la Bible ?
Pourquoi tant d’êtres violents au fil de ses pages ? Pourquoi son Dieu ne
cède-t-il pas en rien aux humains sur ce plan ? »[10].
Selon laConcordance de la TOB, les termes
exprimant la violence sont très nombreux dans la Bible TOB : le terme violence est compté 80 fois, violer : 28 fois, violent : 38 fois, guerre : 217 fois, guerrier :60 fois, combattre :170 fois, combat : 182 fois, tuer :110 fois, pour ne compter que
ces mots.
C’est un fait que la Bible est pleine des scènes de
violence qui dérangent même le lecteur qui a les lunettes d’un Dieu
miséricordieux, patient, tendre, gentil, bref, un Dieu Amour et capable de
risquer avec un homme pécheur et infidèle. A cause de cela, d’aucuns voudraient
que les croyants renvoient les livres du premier Testament aux oubliettes avec
certains autres du Nouveau Testament du même genre. En effet, se demandent-ils,
à quoi serviraient ces livres qui apprennent la violence aux hommes ? Et
pourtant, ces livres sont d’une manière ou d’une autre indispensables pour
comprendre la Bible en général et le premier Testament en particulier.
Marcion a rejeté le premier Testament en affirmant
que : « Le Dieu
qu’ont annoncé la Loi et les Prophètes est un être malfaisant, aimant la
guerre, inconstant aussi dans ses jugements et en contradiction avec
Lui-même »[11].
Dans la Bible même, nous trouvons le récit sur Caïn,
qui tua son frère Abel par jalousie,parce que Dieu se tourna vers l’offrande du
frère cadet. (Gn 4, 1-8).
Le récit du déluge est une scène de violence qui
présente Dieu comme destructeur du monde qu’il a créé (Gn 6, 1-ss).
Dans le livre de l’Exode, on signale la souffrance du
peuple juif en Egypte, à l’époque du Pharaon qui ne connut pas Joseph : « ces hébreux, lointains descendants d’immigrés
araméens, avaient été soumis à un dur esclavage pour réaliser les projets de
construction de la XIXè dynastie des Pharaons »[12] (Ex 1, 8-ss). Il
convient de signaler avec Osty et Trinquet que « ce n’est pas la totalité du peuple qui séjourna en Egypte »[13]. Notons aussi
toutes les souffrances dont Pharaon a été victime de la part de Moïse (ou les
dix plaies d’Egypte) (Ex 6-11). Notons également des réactions méchantes de la
part de Dieu : des égyptiens qui poursuivaient le peuple d’Israël, il les
engloutit dans la mer rouge. On le voit participer activement dans ce cas à la
mort des égyptiens.
Le livre de Josué est lui aussi plein de violence.
Nous y notons toutes les batailles du peuple juif contre les peuples
cananéens : les Hittites, les Hivvites, les Perizzites, les Guirgashite,
les Amorites et les Jébusites. Quand il s’agissait de la conquête d’Ai, Josué
donna l’ordre aux émissaires de détruire la ville dès qu’ils en auraient la
possession (Jos 8, 1-30). Il tua les cinq rois de Maqqeda (Jos 10, 16-27).
Dans le livre des Juges, le peuple d’Israël est
plusieurs fois victime des attaques extérieures après l’installation en Canaan.
Cette situation, à en croire les Ecritures, est une réaction de Dieu face à la
désobéissance de ce peuple à sa loi. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre
le refrain qui encadre ce livre : … le peuple
d’Israël fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur …. La colère du Seigneur
s’enflamma contre Israël … Tour à tour les Philistins, les Madianites, les
Ammonites, … attaquent le peuple élu et le rend esclave après une guerre
sanglante. Chaque fois, Dieu suscite un Juge comme défenseur, qui, parfois, est
obligé d’engager à son tour une guerre
pour défendre son peuple : c’est le cas de Gédéon et Abimelek avec
l’oppression madiante (Jg 6-9), c’est aussi le cas de Samson et la victoire sur
les Philistins (Jg 13-16).
Dans le livre de Samuel, nous notons la guerre de
David contre Goliath (1 Sam 17). David lui-même fit beaucoup de conquêtes :
« la conquête fut définitivement
achevée sous David, qui, en l’an 1000, prenait Jérusalem et en faisait la
capitale »[14]. Malgré sa
fidélité à Dieu, il tua Urie le Hittite pour lui prendre sa femme Bethsabée (2
Sam 11, 1-26).
En réalité c’est pour de raisons politiques et la soif
du pouvoir que le Royaume se partage entre les fils de Salomon. Ces deux
Royaumes se retrouveront en exil à cause de leurs péchés. On constate chez
eux :
« L’adoption des noms babyloniens, leur
calendrier devient celui des babyloniens, l’hébreux est progressivement
abandonné pour être remplacé par le babylonien, quelques-uns ont perdu le goût
de la patrie. A la vue des liturgies splendides et des processions des
divinités païennes, ils se posent la question : YHWH n’a-t-Il pas été
vaincu avec son peuple ? »[15].
Pendant l’exil, le peuple juif a connu beaucoup de
souffrances, non seulement il a perdu son temple, lieu de prière et des
sacrifices, mais aussi, sa terre : ceux qui sont restés dans la captivité
là-bas dans la province sont dans un grand malheur et dans la honte, le Murail de Jérusalem a des brèches et ses
portes ont été incendiées (Esd 1, 1-ss).Il devient ainsi étranger à sa culture
sous la domination des babyloniens. Il eut fallu attendre le règne de Cyrus, à
l’époque perse pour qu’à travers son édit, le peuple puisse retourner chez lui.
Tous les prophètes se plaignent contre le mauvais
comportement du peuple. Chez certains comme Jérémie et Isaïe, ce comportement
est à la base de l’exil vers les pays où il y a la souffrance. Jérémie par
exemple, reproche à ses contemporains : « le culte des faux-dieux, les injustices des grands et les modes
étrangères. Mais en même temps, il voit dans le péché, à cause de l’orgueil et
du manque de foi qu’il recèle, une atteinte personnelle à Dieu »[16].
Job, c’est l’exemple d’un juste souffrant atrocement,
au point qu’il maudit même le jour de son apparition sur la terre (Jb 3, 1-26).
Il n’a pas perdu confiance en son Dieu (Jb 6, 1-ss). Mais Dieu lui-même semble
participer comme commanditaire à la souffrance de Job qui n’était pas mauvais à
ses yeux (Jb 1, 6-12).
Les psaumes sont constitués des actions de grâce, des
prières, des cantiques de la montée vers Jérusalem, des cantiques historiques,
des cantiques didactiques, cantiques prophétiques et eschatologiques, des
cantiques de confiance en Dieu, mais aussi des cantiques de supplication ou des
plaintes et des cantiques imprécatoires. Ces derniers occupent une grande
partie du livre. A propos des psaumes de plainte, J. GELINAU et TH. CHIFFLOT
affirment que : « Des
supplications ou psaumes de souffrance sont collectives ou individuelles selon
qu’on fait parler le peuple en détresse ou un simple membre de la
communauté »[17]. Nous notons des
paroles des gens en détresse telles que : Jusqu’à quand YHWH, m’oubliera-tu ?
(Ps 13, 1) ; au secours, YHWH, il n’y a plus d’homme fidèle (Ps 12) ; écoute YHWH, sois attentif à mon cri (Ps
17) ; mon Dieu mon Dieu pourquoi
m’as-tu abandonné (Ps 21) ; accuse
Seigneur mes accusateurs, assaille mes assaillants (Ps 35) ; Dieu, ils sont venus, les païens, dans ton
héritage, ils ont souillé ton temple sacré (Ps79). Souvent dans
ces psaumes : « le patient
lance un appel vers Dieu et décrit les maux qui l’accablent (…) il demande à
Dieu d’être clément et lance les malédictions sur ses ennemis »[18].
Esther a su maitriser le roi grec, en livrant dans un
banquet qu’elle organisait, le premier
ministre Hamann à travers la ruse. Celui-ci fut tué et c’est son oncle qui prit
sa place. Par sa ruse, elle a su obtenir du roi le droit de la défense juive en
cas d’attaque. Et les juifs ont ainsi massacré la tribu d’Hamann qui voulait
les exterminer. C’est donc une preuve que la violence est en train de créer une
autre violence plus grave.
Le livre des Maccabées est aussi appelé le livre des martyres d’Israël. Et d’ailleurs,
Maccabée signifie marteau, parce qu’il descendait sur ses ennemis comme un
marteau. Dans ce livre est racontée la persécution atroce qu’ont connue Juda
Maccabée et ses frères lorsqu’ils refusaient d’adorer les faux-dieux sur
l’ordre d’Antiochus Epiphane et son fils Eupator. Ces juifs ont été tués
violemment à cause de leur désobéissance
au roi.
Dans les Evangiles, en particulier celui de l’enfance
chez Matthieu, nous observons le massacre des saints innocents par Hérode
lorsqu’il entend parler de la naissance de Jésus (Mt 2, 1-ss). Les Evangiles
nous présentent aussi la mort atroce de Jésus sur la croix (Jn 18, 1-ss).
Dans l’Eglise primitive, nous notons les persécutions
des chrétiens racontées dans les actes des apôtres (Ac 4, 1-ss ; 5,
17-ss ; 6, 8-15 ; 7, 54 ; 12, 1-18). C’est ainsi que Paul dans
ses épitres exhorte souvent les chrétiens à rester fidèles à Jésus malgré les
persécutions dont ils sont victimes.
L’Apocalypse de saint Jean est un livre qui présente
des images qui, quelques fois, font peur : les sept fléaux des sept coupes
(Ap 15, 1-16, 17) ; l’extermination des nations païennes (Ap 19).
Après ce survol dans la Bible, nous remarquons qu’elle
est pleine deviolenceau point que « Les chrétiens sont souvent gênés par des pages violentes des deux
Testaments de la Bible »[19].
Le terme ύβρίς est un terme grec. Selon A. Bailly, ce
terme signifie :
- Tout ce qui dépasse la mesure, l’excès : c’est le cas par exemple de
l’orgueil, de l’insolence ; au pluriel ύβριζει signifie pensées,
actions orgueilleuses.
- C’est le cas aussi de la fougue, de l’ardeur excessive, de l’emportement,
de l’impétuosité, c’est un dépassement de la mesure lorsqu’on se laisse
emporter par la violence. C’est aussi le bouillonnement ou la fermentation de
vin ; c’est également l’outrage sur une femme ou sur un enfant ; c’est
porter des dommages et des dégâts.
- De là vient le terme grec ύβρίτης (UBRITES) qui signifie : violent,
fougueux, impétueux ; et le terme ύβρίστος (UBRISTOS), qui signifie :
traitement outrageux ; ύβριστικος (UBRISTIKOS) qui signifie porter à
excès, qui s’abandonne à des excès. Le terme ύβρίς, exprime aussi l’intérieur
qui s’extériorise dans la destruction méchante. Ce terme exprime mieux quelque
chose qui commence par l’intérieur, c’est-à-dire une violence préméditée, qui
s’exprime àl’extérieur.[20]
Nos analyses dans ce qui précède montrent que l’ubris
semble caractériser le monde. La Bible elle-même semble prendre du plaisir à
présenter de l’ubris. Le Dieu de la Bible, surtout dans le premier Testament,
se présente dans plusieurs passages comme pratiquant de l’ubris. Et pourtant,
selon Wénin, la Bible présente les images de Dieu que l’homme doit imiter,
parce qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Sommes-nous en
droit de dire que l’image de Dieu que la Bible présente est l’ubris ?
Essayons d’analyser le premier récit de la création pour en découvrir l’image
de Dieu qui s’y présente.
Dans ce chapitre, nous parlerons des influences subies
par l’auteur du premier récit de la création ; nous découvrirons le
contexte historique du peuple juif ; nous essaierons ensuite de faire une
analyse narrative de tout le texte et enfin, nous découvrirons l’image de Dieu
dans ce récit.
Dans la Genèse nous avons deux récits de la
création : le premier qui présente la création en sept jours et le second,
qui présente la création avec une explication particulière de l’origine du
péché. Selon Larcher, le premier récit dans l’ordre du temps, c’est-à-dire
celui où il y a une explication de l’origine du péché est issu de la
Mésopotamie et le second, où Dieu crée par la parole viendrait du
Nord : « sans doute
dans le milieu des prêtres et après l’exil (vers la fin du 5è siècle) »[21]. En effet, le
texte est plus métaphysique que le précédent. Dieu crée l’univers et les grands
ensembles qui le composent par la parole (le λόγός). Une fois le monde ordonné,
il le peuple d’animaux…. et enfin de l’Humain : l’homme et la femme. Pour
Larcher, le premier récit (celui de la tentation par le serpent et l’origine du
péché) est de la Tradition yahviste
et le second (celui de la création par la parole), de la Tradition Sacerdotale. Mais nous utiliserons dans
notre travail l’ordre de la Bible.
Grelot affirme qu’il y a des ressemblances entre les
deux textes, voire des signes de continuité entre eux[22].
« Quand l’historien sacerdotal entreprend son
récit qui va nous mener des origines du monde au temps où Israël vit au désert,
quatre siècles sont passés. Le peuple est exilé à Babylone, la grande cité où
l’on célèbre le dieu Mardouk. Il y est sans cesse en contact avec tous les
mythes mésopotamiens qui racontent comment les dieux ont créé le monde »[23].
En réaction contre ces mythes, pour soutenir ses
frères dans leur foi et aussi préparer la restauration après la libération
attendue, un acteur inspiré écrit le premier récit de la création (Gn 1,1 –
2,4a). Il connaît bien celui de l’auteur yahviste,
mais il n’en reprend pas les aspects dramatiques. Voyons maintenant les
influences subies par l’auteur du premier récit de la création.
Les juifs ont été marqués par l’optimisme égyptien qui
affirmait que le soleil était le dieu des dieux ; il réapparaît chaque
matin, il est vainqueur des puissances de la nuit. Et d’ailleurs, selon E.
Charpentier, le tempérament égyptien est naturellement optimiste, au
contraire, la mentalité mésopotamienne dans son ensemble est pessimiste[24].
Observons maintenant quelques écrits des peuples de
l’Orient qui ressemblent drôlement à quelques textes de la Genèse
particulièrement au premier récit de la création.
·
L’épopée
d’Atra-Hasis (Babylonien) est drôlement ressemblante aux récits de la création
et à celui du déluge. Cette épopée nous
présente les dieux qui sont fatigués par toutes les corvées, et qui décident de
créer l’homme pour faire le travail ; ils le modèlent avec l’argile
mélangée avec du sang d’un dieu égorgé. Mais l’humanité fait du bruit, fatigue
les dieux qui lui envoient différents fléaux et finalement, le déluge. Mais le
dieu Ea avertit un homme qui construit un bateau, y fait monter sa famille et
un couple de tous les animaux.
·
Le poème Enouma
Elish : ce poème subsiste en assez bon état sur sept tablettes et
plusieurs copies. Il raconte qu’au début de tout, il y a deux principes
sexués : Apsou, les eaux douces et Tiâmat (dont on retrouve le nom dans le
Tehôm-l’abîme de Gn 1, 2), les eaux salées de la mer. De là sortent tous les
dieux. La généalogie des dieux montre, d’un côté, les plus vieux, ceux de
l’univers chaotique, et de l’autre, les jeunes dieux, d’où proviendra l’univers
organisé. Les seconds gênent le repos des
premiers et Tiâmat décide de détruire sa progéniture : elle crée dans ce
but des monstres redoutables et fait de Kingou le chef de cette armée. Les
jeunes dieux délèguent leur pouvoir à Mardouk, fils d’Ea. La tablette IV décrit
le combat de Mardouk contre Tiâmat et ses monstres : « Mardouk assura
son emprise sur les dieux enchaînés et revint vers Tiâmat qu’il avait vaincu.
De sa masse inexorable, il lui fendit le crâne. Apaisé, le Seigneur contempla
le cadavre de Tiâmât : du monstre partagé, il voulait tirer un chef-d’œuvre.
Il le fendit en deux comme un poisson séché ; il en disposa la moitié pour
faire la voûte des cieux, traça la limite, installa des gardes et leur enjoint
de ne pas laisser sortir les eaux » (IV, 127-140). On assiste alors à la
mise en place du ciel et du monde divin, dont Mardouk détermine les règles.
Mais comment les dieux vont-il être servis ? C’est alors qu’intervient la
création de l’homme : « Mardouk en entendant l’appel des dieux, se
résolut à créer un chef-d’œuvre. Je veux faire un réseau de sang, former un
être dont le nom sera : l’homme. Oui je veux créer un être humain, un
homme ! Que sur lui repose le service des dieux, pour leur bien
être ! Ea se charge de la réalisation de ce travail. Kingou, chef des
dieux révoltés, est donc immolé pour fournir son sang, si bien que l’homme a
dans ses veines le sang d’un dieu déchu : Ils l’enchaînèrent et le tinrent
devant Ea ; ils lui infligèrent son châtiment en tranchant ses veines. De
son sang, Ea créa l’humanité ; il lui imposa le service des dieux pour les
en libérer. Après qu’Ea, le sage, eut créé l’humanité et lui eut imposé le
service des dieux, œuvre supérieure à toute intelligence qu’accomplit Noudimoud
grâce aux artifices de Mardouk, Mardouk, roi des dieux, divisa l’ensemble des
Announaki en dieux d’en-haut et dieu d’en-bas, et il chargea Anou de veiller
sur ses ordres… dans les cieux et la terre, il établit six cents dieux (VI,
1-10, 31-44). ainsi, on voit que l’homme n’est pas seulement le sujet et
l’esclave des dieux, qu’il sert par son culte, mais le jouet des Puissances
cosmiques qui font peser sur lui une fatalité inexorable.
·
L’épopée de
Gilgamesh : Héro de Sumer, Gilgamesh se rend insupportable aux dieux par
son orgueil. Ceux-ci lui suscitent un rival, Enkidu, un monstre vivant avec les
bêtes. Humanisé par une femme, il devient ami de Gilgamesh et tous deux
accomplissent des exploits. Mais un jour Enkidu meurt, Gilgamesh découvre
l’atrocité de la mort et il part à la recherche de l’immortalité. Le héro de
déluge lui donne le secret de la plante de vie. Gilgamesh réussit à s’en
emparer, mais un serpent la lui dérobe, Gilgamesh doit se résigner à mourir[25].
Les peuples de la Mésopotamie avaient élaboré des
représentations très diverses pour évoquer les origines du monde. La société
des dieux imaginée sur le modèle de celle des hommes y jouait naturellement un
rôle actif.
« L’optimisme
sumérien donnait une place essentielle au thème de la fécondité divine, modèle
et source de la fécondité humaine : les diverses catégories d’hommes
étaient en quelque sorte procréées par la grande déesse Ninmah »[26]. Mais les dieux
étaient aussi responsables des principes mauvais introduits ici-bas.
Nous remarquons que le deuxième récit de la création
et celui du déluge ressemblent à l’épopée d’Atra-Hasis.
Si dans l’épopée d’Atra-Hasis l’homme
est créé à partir de l’argile,dans le deuxième récit de la création, l’homme
est créé à partir de la poussière. Et, comme dans l’épopée d’Atra-Hasis, dans le premier récit de la création,
Dieu place l’homme dans le jardin d’Eden
pour travailler le sol. Le fléau qui est envoyé à l’homme quand il fait du
bruit et les couples de chaque espèce et la famille qui montent dans le bateau
ressemblent au récit du déluge dans le livre de la Genèse : c’est ainsi
que Noé a agi au moment de ce fléau.
Le poème Enouma Elish ressemble drôlement au récit
sacerdotal. En effet, les sept tablettes correspondent aux sept jours de la
création. Le chaos primitif ou téhôm ressemble à Tiamat (les eaux salées). Dans
tous les deux récits, il y a création des monstres redoutables, de l’homme,
même si dans le récit d’Enouma Elish, l’homme est créé pour le service des dieux
et dans celui de la Bible, il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu
pour continuer l’œuvre commencée par ce dernier. Dans tous les deux récits, il
y a séparation des éléments pour faire le ciel et la terre.
Le serpent qui trompe Gilgamesh ressemble à celui du
premier récit de la création.
La foi essentielle du peuple juif est dans le shema Israël, écoute Israël le Seigneur est UN (Dt 6, 4). C’est la clé par
laquelle, les mythes d’Israël restent malgré toutes ces influences, uniques et
différents des autres écrits de leur milieu environnant. Dieu s’est révélé à
Israël au désert comme un Dieu unique. Cette pensée influence toute la vie
d’Israël malgré les influences des traditions de certains peuples de son
entourage. C’est cela même la position de Hans Wildberger quand il dit :
« Avec la merveilleuse délivrance du peuple juif tenu en esclavage au pays
des pharaons, l’alliance conclue sur le mont Sinaï est devenue l’une des
pierres d’angle de la foi d’Israël »[27]. Et le travail
des prophètes n’est que celui du rappel de l’Alliance. Cet élément est donc
très important dans la vie et la foi d’Israël.
Après avoir découvert le contexte dans lequel l’auteur
sacré du premier récit de la création a écrit et les influences qu’il a subies,
faisons maintenant une analyse narrative du texte.
Paul Beauchamp a fait un inventaire des
formules-cadres des six jours dans son livre intitulé : Création et Séparation. Il distingue dans
le premier récit de la création des :
1. Annonces du commandement : « Et Dieu
dit » est présenté 10 fois : vv. 3.6.9.12.14.20.24.26.28.29 ;
2. Paroles de commandement : « Que soit, que
soient » : six fois : vv.3.6 (bis).14 (bis).15 ; « Que
s’assemblent » : v.9 ; « Qu’apparaisse » v.9 ;
« que verdoie » : v.11 ; « Que foisonnent »
v.20 ; « Que vole » : v.20 ; « Que
produise » : v.24 ; « Que commandent » v.26 ;
« Faisons » : v.26 ;
3. Formules d’accomplissement :
« lumière » : 1 fois v.3
Et fut : {
« ainsi » : 6
fois vv.7.9.11.15.24.30
4. Actes d’exécution : « Et Dieu
fit » : trois fois : vv.7.16.25 ; « Et Dieu
mit » : une fois : v.17
5. formules d’appréciation :
« la lumière : que
bonne » 1 fois v.4
Dieu
vit : « que bon » 5
fois : vv.10.12.18.21.25
« tout ce
qu’il a fait et voici très bon » : 1fois v.31
6. Paroles subséquentes : « Et Dieu
appela » : 5 fois vv.5 (bis).8.10 (bis) ; « Et Dieu
bénit » : 2 fois vv.22.28 ;
7. Mentions du jour :
« un jour » 1 fois v.5
« Et fut le
soir et fut le matin » :
« n° jour » 4 fois vv.8.13.19.23
« le sixième jour » 1
fois v.31
Cependant quelques particularités sont à noter :
au verset 28 avec la formule augmentée : Dieu les bénit et Dieu leur dit ; nous
remarquons aussi que la formule Et Dieu sépara n’est pas l’exécution d’un commandement
antérieur dans le v.4 ; la formule Et la terre produisit est la seule de
cette catégorie à n’avoir pas Dieu pour sujet.
Dans quelle logique les objets sont-ils créés ?
Paul Beauchamp découvre que c’est dans la logique immeuble-meuble que les objets sont
créés dans le premier récit de la création : « Dieu a d’abord créé
les éléments par séparation à partir du chaos, puis les a garnis d’habitants,
qui sont leur armée »[28].
Ce principe se trouve exprimé dans la formule classique de l’opus distinctionis et l’opus ornatus qui encadre les six jours de
travail tels que présentés dans le récit, comme l’Exode l’exprime : en six jours
Adonaï a fait les cieux et la terre et la mer et tout ce qui est en eux (Ex 20, 11) et le septième jour reste vide. Dans le
cadre de l’Heptaméron, les six jours
de travail se divisent comme affirmé précédemment en deux moitiés :
8. L’opus
distinctionis : les trois premiers jours ;
9. L’opus
ornatus : qui commence au quatrième jour.
Ce principe se trouve buté à une difficulté,
car : « Les
plantes sont déjà créées dans le troisième jour et le thème de la séparation
(opus distinctionis) est encore essentiel dans le jour où sont créés les
astres »[29].
C’est ainsi que Beauchamp propose un autre principe, sans rejeter en bloc
le premier. Il découvre que le schéma apparaît comme une orientation par
rapport à un centre : « on dirait
que les éléments immobiles sont situés par rapport au ciel, déduits du ciel,
alors que les vivants convergent vers l’homme »[30]. Il y a comme deux
centres, une bipolarité ciel-homme (ciel-terre) ; l’homme image de Dieu
est celui qui domine la terre, il laisse à Dieu le pouvoir sur les mers et il
est soumis aux astres. Mais il ajoute en disant que : « l’insistance sur la terre suit la ligne d’un
choix et non d’une nécessité »[31]. Car la
cosmologie de l’auteur n’est pas vraiment anthropologique, c’est cela qui
explique les limites que Dieu donne à l’homme.
Le premier récit de la création commence par ce qui en
constitue le titre et même l’objet : la création du ciel et de la terre. En effet, le récit commence par :
בְּרֵאשִית בַּרַא אֱלֹהִים אֵת הַשַמַיִם וְאֵת
הַאַרֶץ
Ce récit finit en Gn 2, 1-4 par presque les mêmes paroles qu’à son début.
Ces paroles de reprise, Beauchamp les
appelle un anti-titre ou formule de
clôture au verset 4 : אֵלֶה תוֺלְדוֺת הַשַׁמַיִם וְהַרֶץ בְּהִבַּרְאַם
Le terme qui commence le récit est commencement et le terme qui finit le
récit et synonyme à celui-ci est : tôlědôt :
genèse, descendance. En effet le récit commence par : au commencement Dieu créa le ciel et la
terre et il finit par : voici
l’origine du ciel et de la terre. Cet anti-titre qui conclut le premier
récit de la création, ouvre en réalité le second récit : « Sa formulation est de rappeler le titre et en
même temps de rattacher le récit à la trame généalogique du document
sacerdotal »[32]. Il y a
continuité entre les deux récits de la création. Ces textes qui, apparemment
juxtaposés, se complètent.
Les sept jours sont constitués en six jours de travail
et un jour de repos. Le chiffre sept est comparable aux sept tablettes qui
contiennent le poème d’Enouma Elish.
Certainement parce que nous ne pouvons pas nier une quelconque influence qu’a
subie l’auteur sacré du premier récit de la création. Cependant, n’ignorons pas
la particularité juive que nous avons cernée dans ce qui précède. C’est dans ce
sens que nous cherchons à donner un vrai sens ou le sens juif du chiffre sept.
Ce chiffre dans le langage biblique symbolise la plénitude, la totalité. Si Dieu
a créé le monde dans sept jours, c’est qu’il l’a créé dans sa plénitude, de
manière complète, de manière totale. Nous nous rappellerons les sept trompettes
de l’Apocalypse qui symbolisent que Dieu a parlé pleinement, totalement.
Dans le premier récit de la création, Dieu crée par la
parole, le λογος. Ces paroles sont
introduites par : Dieu dit : וַיּאֺמֶר אֳלֹהִים
Ces dix paroles renvoient théologiquement aux dix
paroles du décalogue, cœur de la Loi du peuple élu. Pour dire que ces dix
paroles ont été prononcées au jour même de la création. C’est donc ces paroles
qui font d’Israël un peuple, le distinguant des autres peuples. L’auteur sacré
a l’intention, comme les prophètes, de rappeler l’Alliance qui était jusque là
en danger avec les influences des récits de la création de Babylone en
particulier celui de Mardouk. Il veut rappeler que le Dieu de l’Alliance est
celui de la création. L’Alliance constitue toute la vie d’Israël, même sa
constitution comme peuple.
Dans ces paroles, le verset 28 est particulier, car il
ajoute un pronom à la phraseוַיּמֶר לַהֶם
אֱלֹהִים :Le pronom lahēm (à eux) signifie
que Dieu trouve enfin des gens avec qui il peut communiquer. C’est aussi
seulement pour la création de l’humanité que Dieu se donne un ordre à
lui-même : וַיּמֶר אֶלֹאִים נַעְשֶׂה אָדָם « Faisons l’homme…. » (v.26).
a) Le chaos primitif
Il est surprenant
de découvrir que dans ce récit, le Dieu de la création ne crée pas à partir de
rien : ex nihilo, mais à partir de ce qui existait déjà : le Chaos
primitif. Ce qui est vrai, car la première affirmation biblique d’une création
à partir de rien se trouve dans le deuxième livre des martyrs d’Israël :
regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnaît que
Dieu les a créés de rien (2 M 7, 28. voir He 11, 3). L’histoire nous prouve que
ce livre date du deuxième siècle avant Jésus-Christ. Avant cette date, la
tradition biblique unanimement rejoint les idées communes du Proche Orient
ancien concernant la création : Dieu a organisé le monde à partir du
Chaos. Et d’ailleurs le verbe « Bara » (créer) qui n’est appliqué
qu’à Dieu dans le Premier Testament ne signifie pas « faire de
rien », mais faire du neuf, de l’inouï, du jamais vu. Et dans la logique
du premier Testament, Dieu ne crée pas seulement au début, mais aussi dans l’histoire
(Jr 31, 22 ; Is 41, 1.7.15 ; 45, 7)[33].
Le verset 2 décrit le chaos primitif :
וְהַאַרֶץ
הַיְתַה תֺהוּ וַבׁהוּ
Les deux termes utilisés : tôhu wâbohu signifient : désert et désolation, chaos. Un autre
terme utilisé c’est תְהוֺם (téhôm) qui signifie gouffre d’où vient
le terme תְהוֺמָה
qui signifie abyssal, insondable. Cet abîme peut être représenté comme une
sorte de boule d’eau salée où toute vie est impossible. Le troisième élément,
c’est רוּחַ
אֶלׂהִם qui signifie
littéralement« vent de Dieu », un vent violent, difficile à
maîtriser. Cette description entre dans la mentalité juive de considérer que
les puissants, les forts se manifestent dans le vent. Rappelons-nous l’épisode
d’Elie qui attendait Dieu dans le vent, le feu. C’est dans ces conditions
qu’était l’univers auquel Dieu a donné forme. C’est vraiment sûr qu’il fait de
l’inouï, de l’extraordinaire.
La mise en ordre
de ce chaos se réalise par la maîtrise de Dieu de ces trois éléments qui
constituent le désordre primitif. Cette maîtrise consiste essentiellement en
une parole. Dieu maîtrise son souffle de vent agitant l’abîme par sa parole,
car parler suppose que l’on maîtrise le souffle, la respiration. Dieu maîtrise
son vent en parlant ; Dieu se maîtrise donc lui-même. Et cette parole est
pour la lumière, ou même elle est lumière. Une merveilleuse histoire juive
raconte qu’un enfant caché avec sa mère dans un abri obscur lui disait :
parle, maman : quand tu parles, il fait moins noir. C’est à cette
expérience que le quatrième Evangile se réfère quand il dit : La parole
était lumière qui illumine tout être humain en venant dans le monde (Jn 1,
4-9). C’est aussi le sens de la parole des prophètes pendant l’exil, une parole
qui éclaire l’obscurité des exilés. Par la parole de Dieu il y a la
lumière qui apporte vie à la terre[34].
Paul Beauchamp affirme sur ce passage que : « La terre, les ténèbres, et les eaux sont des
objets qui ne sont pas soumis à un acte de création, mais à un acte de
séparation »[35]. Dieu n’a pas
supprimé le chaos primitif, mais en a fait, par l’instauration de son
alternance, un lieu vivable et viable.
Quand Dieu se met à parler, c’est pour dire : יְהִי (Que soit…). Cette forme de verbe (être)
utilisée en Gn 1 pour la création des objets célestes : אוֺר יְהִי (que soit la lumière v3),יְהִי מְאֺרֺת(que soient des luminaires v14), רָקיַע יְהִי (que soit un firmament… v.6,כֵן יְהִי (il en fut
ainsi v.15). Le terme יהוה (le Seigneur), semble être dérivé de la
racine du même verbe être (haya). Sous cette forme, le non divin pourrait
signifier « il est », ou « il fait être ». Si c’est le cas,
alors l’intuition de notre auteur c’est que la parole créatrice jaillit dans le
nom divin lui-même. Créer c’est donc le propre de Dieu, c’est la mise en œuvre
de Dieu, de son propre nom, donc de son essence divine. A ce propos ce n’est
peut-être pas pour rien que ce verbe soit utilisé 26 fois dans notre
récit :
En effet, 26 est le résultat de l’addition de la valeur numérique des
lettres du nom YHWH : Y = 10 ; H = 5 ; et W = 6 → 10+5+6+5 = 26. Le chapitre 1 de la Gn ne
mentionne pas le nom du Dieu de l’Alliance : Je suis, mais le cache dans
le Dieu qui dit : que soit.[36]
b) Les végétaux et les luminaires
Le verbe utilisé dans la création
des végétaux est דְשַׂא. Ce verbe signifie littéralement faire pousser l’herbe, se couvrir d’herbe. Il montre la responsabilité de la terre d’être productive de l’herbe, et
l’herbe qui rend féconde sa semence signifie la reproduction, et donc la vie.
Créer signifie donner vie et perpétuer la créature.
L’ornementation du ciel est constituée des luminaires : le grand
luminaire pour commandant du jour et le petit luminaire pour commandant de la
nuit. Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, pour
présider au jour et à la nuit et séparer la lumière des ténèbres. A chaque
ligne, l’auteur insiste sur le pour qui indique la finalité des astres créés.
Ces luminaires מְאוֺרוֺת qui portent le nom des
lampadaires du temple, en les mettant au ciel signifient que le monde est le
temple où l’on rencontre Dieu. Le peuple
qui est en exil, n’a pas de temple, l’auteur sacré veut montrer que Dieu est
partout au monde. L’image de l’armée des cieux utilisée pour exprimer les
luminaires veut simplement affirmer que les astres forment un corps qui se meut
avec ordre, puisque les étoiles occupent toujours la même position les unes par
rapport aux autres dans le mouvement tournant de la voûte étoilée. Comme dans
l’armée, il y a donc comme une hiérarchie dans les astres sous le commandement
de la lune et du soleil.[37]
c) Le peuplement des espèces : les animaux
Le cinquième jour, Dieu crée les
animaux marins et les volatiles. Le récit précise même qu’il crée les grands
monstres marins. Ces monstres, nous l’avons vu précédemment, étaient divinisés
et jouaient un rôle important dans les mythes babyloniens en particulier dans
le mythe de la création où ils sont associés au chaos des eaux. Dans ce récit,
ces monstres sont des simples créatures de Dieu.
C’est sur cette création des
animaux aquatiques que résonne la première bénédiction du texte. En effet le
texte dit : Et Dieu les bénit en
disant : soyez féconds et prolifiques (v.23). Bénir signifie donner de
l’épanouissement à la vie des créatures. Dans la pensée biblique Dieu est la
source de toute bénédiction et celle-ci concerne le don de la vie, sa
croissance (en quantité, c’est le sens du terme hébreux
« rēvū » : grand nombre, multitude, accroissement et du terme
« milēhū » : plein à déborder, rempli), sa fécondité et son
épanouissement jusque dans le bonheur. Dans le langage de la Genèse, le terme bénédiction, loin de signifier dire bien (benedicere), signifie donner
la vie et la donner en abondance, créer un espace de l’épanouissement,
donner à la créature la maîtrise de la chose comme c’est le cas chez l’homme.
Le terme hébreuוַיְבַרֶךְ
signifie selon le dictionnaire : se
félicite, salue, souhaite du bien, prononce une bénédiction. Et donc, Dieu se
félicite de cette création et la salue. Saluer en français signifie aussi apprécier positivement : c’est cela son sens quand
il est utilisé dans l’expression : je
salue ton œuvre.
d) L’humanité
Pour la première fois dans le
texte, Dieu se donne un ordre :
וַיּאמֶר
אֱלֹהִים נַעֲשֶׂה אָדָם בְצַלְמֵנוּ כּדְמוּחֵנוּ. Le terme
hébreu עָשָׂה
signifie dans son premier sens faire,
c’est aussi produire, rendre la vie si elle n’existe plus. Tel que utilisé dans
le verset 26, il est une commande que Dieu se donne lui-même.
Les Pères de l’Eglise ont vudans
le faisons, un signe de la Trinité. À
ce niveau la question intervient : l’auteur sacré de l’époque pouvait-il
penser à la Trinité alors que Jésus n’était pas encore là pour révéler un Dieu
trine et que le shema Israël qui
était même la foi d’Israël révélait un Dieu unique ? Ne serait-il pas taxé
d’idolâtre et son texte indexé ?
Mais au niveau du récit, quand
Dieu se dit faisons,c’est comme s’il se dédoublait, voyant ainsi sa propre image qu’il produit.
Il se dédouble en l’homme qu’il créé à son image. Quel est le terme hébreux
utilisé quand il s’agit de la création de l’homme ?
Le terme utilisé ici c’est אָדָם,il signifie l’Humain, l’Humanité. Et donc, homme et femme ensemble. La
distinction de sexe dans cette humanité que Dieu créa intervient après.
L’humanité ou l’humain est d’abord constitué de cette paire homme-femme. Voilà
qui explique le sens du pronom singulier dans אֺתוֺ (LE) avant de les distinguer : זַכַר וּנְקֵבֲה. Zākārest utilisé pour parler de l’homme doué d’une bonne
mémoire, mais aussi de la virilité quand il est utilisé au féminin זַכְרוּת ; et nēkevah,pour parler d’un
orifice, d’un trou, de la féminité quand il s’agit de נְקְבוֺת, d’où dérive aussi le terme
fleur pour parler de la beauté de la femme. Ce qui explique aussi la
possibilité de la procréation à travers l’acte sexuel. Il ne s’agit pas ici de
la création du premier homme et de la première femme, mais du genre humain.
L’humain créé est lié à Dieu sous
un double rapport : image et ressemblance. En effet, le terme hébreu צֶלֶם signifie forme, figure, image d’où dérive צִלֵם : photographie, un autre-moi. Et le terme דְמוּת signifie forme, image, ressemblance. Le nouvel être créé est dans le fond et dans la forme un
« Dieu ». C’est ainsi que Dieu lui accorde après la bénédiction, la
maîtrise de toutes les autres créatures à l’instar de lui-même qui a la
maîtrise de l’univers. Le terme image semble être lié à la maîtrise du monde,
l’homme qui est à l’image de Dieu exerce sa seigneurie sur le monde, le domine,
y travaille, comme Dieu l’a fait ; et le terme ressemblance se rattache
davantage à l’aspect de la fécondité et donc au caractère sexué de l’être humain.
Si l’être humain est la production de Dieu, et parce qu’il lui ressemble, il
doit aussi à son tour produire d’autres êtres qui lui ressemblent par son union
avec la femme.
Il faut affirmer que l’image et
la ressemblance ne sont pas une description de l’homme, mais plutôt
l’indication de la mission de l’humanité : celle de maîtriser la terre et
celle de se multiplier.
L’humanité se présente dans ce
récit comme une création inachevée. Par quoi est-ce qu’on reconnaît cela ?
A. Wénin répond : par l’absence de la formule conclusive :Et Dieu vit que c’est bien. En effet, cette
formule, nous la rencontrons sur toutes les créatures, sauf, chez l’humain et
lors de la séparation des eaux (v.8).
« Dans cette dernière fois
l’absence s’explique aisément parce que la mise en place de cette voûte
céleste ne suffit pas à rendre habitable l’espace terrestre. Pour cela il faut
encore que la terre sèche soit séparée de l’amas des eaux, œuvre réalisée le troisième
jour et suivie du constat : Et Dieu
vit que c’est bien »[38].
La formule est omise lorsque
l’œuvre réalisée est inachevée. C’est le cas aussi chez l’humain.
André Wénin ajoute une autre
raison qui prouve que la création de l’humain est inachevée : en analysant
le verbe « āsā » (faire) qui est utilisé quand il s’agit de la
créationde l’humain. Il trouve qu’il a une acception bien plus large que
« bārā » (créer) qui ne revient qu’à Dieu seul : « Créer a toujours Dieu
pour sujet et renvoie de ce fait à une action que lui seul pose »[39]. En utilisant le terme « āsā » quand il crée l’humain, Dieu réalise sa
part qui lui revient, à savoir créer, mais quelque chose reste à faire, qui
pourra le faire sinon l’humain. En disant faisons,
Dieu se parle non seulement à lui-même, mais aussi àl’humain pour l’inviter à
parachever par son « faire » l’agir créateur de Dieu.
Un autre indice vient confirmer
cela, c’est le fait de les créer différemment homme et femme, en tant que tel,
appelés à la rencontre entre un je et
un tu qui se diront : « Faisons des humains à
l’image de Dieu qui crée l’humain en prononçant cette parole »[40].
Un dernier indice
c’est : « la disparition curieuse dans le récit au v.27, du mot ressemblance employé par Dieu »[41].
Dans l’énoncé celui-ci parle de faire à l’image et à
la ressemblance, mais dans son récit de la création de l’humain, le narrateur
ne retient que le terme image. « C’est ici, au creux même de l’inachèvement de
l’humain que s’insère, quoi de plus logique, la mission que Dieu lui assigne de
dominer la terre en maîtrisant les animaux »[42].
Dans la bénédiction de
Dieu au verset 28 :פְרוּ וּרְבוּ וּמִלְאוּ
אֶת־הַאַרֶץ וְכִבְשֻׁה on a utilisé le termeכִבוּשׁ .Ce terme
signifie : maîtriser, occuper, conquérir. Et donc, Dieu invite l’homme à
exploiter la terre, et la maîtriser, à la découvrir, la conquérir. L’homme qui
a une mission de devenir image de Dieu, doit agir ainsi. Cependant, Dieu dans
la donation de la nourriture met une limite dans l’action de l’homme. Cette
dixième parole est importante parce qu’elle est la dernière, telle est la
position de Wénin quand il dit : « Sa position en fin de série ainsi que sa forme
dissidente attirent sur elle l’attention du lecteur »[43]. Seules les plantes constituent la nourriture de l’humanité (céréale et
fruit) et des animaux (l’herbe). Quel est le sens de ce végétarisme
primitif ? L’homme doit-il pour ainsi dire être végétarien ?
Cette énigme est à
réfléchir à partir du contexte immédiat. En bénissant l’humanité, Dieu lui fixe
une responsabilité : Dominer la terre. Cela ne signifie pas que l’homme ne
doit pas dominer l’animal, mais cela signifie simplement qu’il est possible de
le maîtriser sans lui faire violence, sans le tuer. Le monde animal dans ce
sens pourra aussi ignorer la violence puisqu’il est également herbivore. C’est
la volonté d’une relation pacifique avec les humains.[44]
« La maîtrise qu’il s’agit
d’acquérir consiste non pas à éliminer cette nouvelle sorte d’animalité, mais à
l’humaniser. En effet, en le tuant, on pourrait priver l’humain ou le groupe
d’une force de vie et d’un dynamisme essentiels à sa croissance (…) il s’agit
plutôt de tempérer cette force »[45].
Sinon elle devient agression
d’autrui si elle va au-delà des limites. Cette position invite : « A construire un
vivre-ensemble où toute force violente est convertie en authentique
douceur »[46].
Tel est le rêve de Dieu qui trouve écho chez
Isaïe :
le loup habitera avec l’agneau
le léopard se couchera près du chevreau.
le veau et le lionceau seront nourris ensemble,
un petit garçon les conduira
la vache et l’ourse auront même pâture,
leurs petits même gîte
le lion comme le bœuf mangera du fourrage.
En dehors de la relation homme-femme, l’humain est
appelé à trouver une voie d’achèvement dans sa relation aux animaux. Il imitera
ainsi son créateur dont la maîtrise fait objet du texte. C’est dans la mesure
où il deviendra créateur de son monde en exerçant sa maîtrise que l’humain
achèvera en lui l’image de Dieu. C’est ce que répète sur le mode impératif la
bénédiction du verset 28 : « Fructifiez et multipliez et emplissez la
terre et soumettez-la et maîtrisez » les animaux marins, aériens et
terrestres. Il s’agit là d’un devoir que Dieu fixe aux humains, ébauchant ainsi
une voie pour leur accomplissement.
e) Le septième jour
Dieu achève sa création en
bénissant et consacrant le septième jour.
L’écrivain sacré utilise le terme : arrêter,
comme pour dire que Dieu s’impose d’arrêter sa création. Dans d’autres versions
comme la Bible de Jérusalem, le verbe
utilisé est chômer. Le chômage de
Dieu consiste en un retrait du monde et une autonomie de celui-ci. En
particulier il ouvre un espace d’autonomie à l’humanité qu’il crée à son image
et à sa ressemblance.
Après analyse de tout le récit,
et surtout en découvrant que l’image et la ressemblance de Dieu est une
vocation et non une acquisition, quelle est alors l’image de Dieu dans ce récit
de la création ?
Après cette longue analyse
narrative du premier récit de la création, l’on se rendra compte qu’il y a
plusieurs images de Dieu que nous découvrons. Mais il faut le signaler, ces
images se réduisent en une seule « la maîtrise, la douceur ».
En effet, dans ce récit, Dieu se
présente comme un travailleur en créant le monde en six jours. Dans cette
création en six jours, Dieu se présente comme celui qui se repose le septième
jour ; ilse présente aussi comme celui qui apprécie ce qu’il
fait dans la répétition : Dieu vit que cela était bon. Dieu se présente également comme celui qui transforme le monde en
transformant le chaos primitif en un lieu habitable et vivable. En mettant dans
sa créature la possibilité de reproduction, il se présente comme celui qui en
assure la perpétuation. En faisant don de nourriture à l’homme et aux animaux,
Dieu se présente comme celui qui nourrit sa créature. Et dans la logique immeuble-meuble, Dieu se présente comme celui qui
a le goût du beau surtout dans l’ordre qu’il place dans ses créatures,….
A la question de savoir comment
Dieu a créé, l’on répondra avec Wénin : c’est par la maîtrise de
lui-même : « c’est là un trait si marquant de la figure divine que bien de
lecteurs le privilégient unilatéralement en insistant à souhait sur la toute
puissance du Créateur »[47]. S’il en ait ainsi, il appartient donc à l’homme de devenir image de
Dieu-douceur. Curieusement, certains ont vu dans ce récit uniquement une
image de Dieu toute-puissance.
Image de Dieu : douceur et toute-puissance
L’auteur du premier récit de la
création présente-t-il Dieu comme toute-douceur ou comme toute-puissance ?
Une interprétation rapide de ce texte, conclurait à un Dieu toute-puissance,car
il crée des choses extraordinaires. Il les crée par la parole ; certains
ajoutent même : il les crée ex nihilo.Alors que nous l’avons dit, l’idée
de création ex nihilo n’est pas contemporaine à ce récit. D’où vient cette
interprétation de l’image de Dieu toute-puissance (voire surpuissance) qui a
influencé toute la théologie ? La suite nous aidera à répondre à cette
question.
a) La maîtrise du chaos primitif
L’interprétation de l’image de
Dieu en toute-puissance dans le récit sacerdotal viendrait d’une rapide
comparaison entre ce récit avec la théomachie cosmogonique du poème babylonien
de la création. « Le fameux poème akkadien de l’Enuma
Elish dépeint le combat victorieux de Mardouk contre les dieux rebelles
dont le massacre prélude à la création du monde »[48]. Alors qu’en Gn 1, nous remarquons que Dieu n’a rien détruit. Il a
harmonisé le chaos primitif avec les éléments contraires aux éléments négatifs
de ce chaos pour en faire un bien, un lieu habitable. Chez Dieu même le mal est
transformé en bien.
b) Création par la parole
Un autre élément qui affirme
l’image d’un Dieu-douceur, c’est la création par la Parole. C’est par elle que
le chaos primitif, en harmonie avec son contraire, a trouvé place dans l’unité
organique. C’est par elle que Dieu crée et nomme toutes choses. C’est par elle
que la fécondité de la terre est donnée par Dieu. C’est par elle aussi que
l’humain et les animaux reçoivent leur nourriture de sorte que les seconds qui
reçoivent la verdure n’aient pas à se disputer avec le premier qui reçoit à son
tour les céréales et les fruits. « Et quand, enfin elle a trouvé un interlocuteur
(Et Dieu leur dit v.28), elle se tait pour laisser place à la
réponse. Car le septième jour, Dieu ne dit plus rien : c’est en silence
qu’il bénit et sanctifie le sabbat »[49].
A l’image de Dieu, « c’est par la parole que
l’humain peut lui aussi maîtriser les forces de son chaos intérieur »[50].
A ce propos, l’histoire de Caïn et Abel dit beaucoup.
« En effet, Caïn, aux prises
de la tempête intérieure de sa violence, il ne parle pas. Quand le Seigneur lui
demande de maîtriser la bête tapie en lui, celui-ci ne répond pas. Le texte
dit tout simplement : Caïn s’adressa vers son frère Abel et il le tua.
C’est dans la mesure où il ne dit rien qu’il agit violemment envers son frère.
L’auteur de la lettre à Jude l’a bien compris quand il dit : ceux qui
suivent le chemin de Caïn sont comme les bêtes sans parole (Jude 10-11) »[51].
Dans certaines versions anciennes
(la LXX en tête), on fait parler Caïn (allons
au champ), cela ne contredit pas la position de Wénin, au contraire ça la
confirme : « Car si dans sa situation, Caïn n’a que ces paroles triviales à
adresser à son frère, c’est que, dans l’élan où il va priver l’autre de la vie,
il a déjà réduit la parole à n’être que du vent »[52]. Parler à l’autre au lieu de le manger, c’est renoncer à l’absorber pour
lui faire place, alors que l’humain doit donner à son semblable d’être.
c) Le refrain : Dieu vit que c’est bien
Un autre élément important qui
confirme cette image de Dieu est le refrain sept fois répété : Et Dieu vit que c’est bien
(vv.4.10.12.18.21.25.31). Ce refrain est un groupe de mots de louange
d’Israël ki-tôb, que c’est bien. A sept reprises, Dieu prend du recul pour jeter un regard à ce qu’il a
créé : « Le temps de considérer, d’admirer ce qui est comme sorti de lui et
qui n’est pas lui »[53].
C’est dans ce sens que l’existence n’a de sens que par
la considération d’autrui qui ouvre un espace de confiance, de vie et de
croissance de moi-même.
d) Le repos sabbatique
Enfin, le Créateur se repose. Son
sabbat achève la création. C’est donc que le narrateur veut montrer que ce
repos est une clé de voûte, « sans laquelle l’œuvre divine resterait du
fait même inachevée »[54].
Nous découvrons l’importance de ce repos présenté par le narrateur. Dieu
s’arrête au sens fort où il s’impose à lui-même un arrêt. Dans ce sens
« il se montre fort sur sa propre force, maître de sa maîtrise »[55].
En arrêtant, Dieu se refuse de tout remplir et c’est ainsi qu’il ouvre une
autonomie à l’univers et en particulier à l’humanité créée à son image. Ce
n’est que dans ce sens qu’il lui confie la responsabilité du monde et d’en
devenir artisan de continuité de son œuvre.
Telle est l’image de Dieu que
dessine la première page de la Bible, une image pénétrée de douceur autant,
sinon plus, que de puissance. « À moins qu’elle ne révèle adéquatement ce qu’est la
toute-puissance divine : cette douceur forte et tenace d’un Dieu qui sait
garder la maîtrise de sa puissance »[56]. A ce moment-là la toute-puissance de Dieu ne serait pas la surpuissance, mais à découvrir dans sa
douceur. C’est qu’a compris l’auteur de la sagesse
quand il dit :
Ta force est le
principe de ta justice, et ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers
tous. Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est mis en
doute. Mais toi, tu maîtrises ta force et tu juges avec douceur et tu nous
gouvernes avec beaucoup de ménagement (Sg 12, 16-18).
Cette image d’un Dieu-douceur est
confirmée par le Christ Jésus qui vient révéler le Père à travers sa mort au
calvaire. Image d’un serviteur souffrant tel que présenté par le prophète
Isaïe. Le Christ est le modèle de la douceur. En effet, il est celui qui
pardonne à ses bourreaux alors qu’il était capable de réagir par la violence
contre eux. Il a ainsi maîtrisé son ubris (bouillonnement intérieur) laissant
place au pardon qui est la maîtrise de sa maîtrise. C’est à cela qu’il nous
invite quand il nous demande d’aimer nos ennemis. L’humain est invité à réaliser
cette image-Douceur de Dieu. Il devient alors celui qui suscite de la vie. En
imitant cette image de Dieu, il construira un monde à l’image de son créateur.
Après avoir découvert dans le
chapitre précédent les contours de l’image de Dieu, nous chercherons dans ce
chapitre à découvrir les implications pratiques de cette image de Dieu. En
d’autres termes, si l’homme par sa vocation doit devenir « image de
Dieu », alors que l’image découverte dans ce premier récit de la création
est celle de Dieu-douceur, que serait plus ou moins la nature de son
comportement ?
La recherche scientifique et
biotechnologique influence tellement le monde que l’on parle même d’un
scientisme aujourd’hui. En effet, la science aujourd’hui permet des
pratiques telles que l’avortement, la fécondation in vitro, l’insémination artificielle, l’euthanasie,… Qu’est-ce qui
arriverait à ces pratiques si l’homme avait la maîtrise de sa maîtrise à
l’instar de Dieu ?
a) Définition
Le dictionnaire Encyclopédique
définit ce concept comme : « une expulsion naturelle ou artificielle du
fœtus avant qu’il ne soit viable, c’est-à-dire avant la fin du sixième
mois »[57].
Ce dictionnaire distingue deux types
d’avortement : spontané, causé
par des maladies ; provoqué ou
criminel, dont l’atteinte du fœtus est généralement due à un traumatisme
direct ou l’absorption des produits naturels ou alchimiques réputés abortifs.
Ce dernier type d’avortement peut être provoqué, parce qu’on veut éviter des
malformations génétiques qui existeraient sur l’enfant qui va naître. La
science actuelle l’appelle : avortement
eugénique. Il peut aussi être provoqué pour des causes d’ordre
social : manque des moyens pour assurer la vie de l’enfant ; âge non
adapté pour la mère de porter une grossesse (elle est mineure), mais aussi
quand la grossesse est le fruit d’un viol. L’avortement peut aussi être
provoqué par la volonté manifeste de la femme, voire du couple. Et dans ce
sens, le fœtus est considéré, non pas dans ses qualités de personne, mais comme
une partie de la femme qui en ferait ce qu’elle veut.
L’Ethique montre que l’Avortement
est un meurtre d’un être, car : « Le fœtus de deux mois, l’enfant de huit ans,
l’adulte quadragénaire ou le vieillard, sans avoir les mêmes aptitudes
physiques ou intellectuelles, sont toutes des personnes de l’espèce humaine,
dignes du respect »[58]. Il reste vrai que l’avortement est un acte moralement condamnable. Les
éthiciens affirment que celui qui est criminel et volontairement fait, est
gravement condamnable, car il ne considère le fœtus que comme un objet.
b) Evaluation par rapport à l’image d’un Dieu-douceur
L’homme par ses recherches
scientifiques est parvenu à bien maîtriser tout le processus de la procréation.
C’est dans ce sens que les scientifiques peuvent aujourd’hui affirmer que la
grossesse est un processus divisé en deux phases : la phase embryonnaire
et la phase fœtale. La première phase va de la rencontre des gamètes masculin
(spermatozoïde) et féminin (l’ovule) jusqu’à la huitième semaine.
En effet, après la
rencontre des gamètes, l’œuf fécondé à l’instant zéro de sa vie s’appelle
zygote ; pendant ses quatre premières semaines, on parle d’une
morule ; à la sixième semaine, on parle de blastocyte ce qui deviendra
embryon lorsqu’il s’implantera dans l’endomètre de l’utérus et cela jusqu’à la
huitième semaine.[59]
La seconde phase est celle dite
fœtale. Elle va de l’installation dans l’utérus jusqu’à la naissance. Toutes
ces découvertes scientifiques sont vraiment à louer parce qu’elles nous
permettent de bien maîtriser le processus d’une grossesse.
Cependant, l’homme qui a
découvert ces bonnes choses, en fait un usage malheureux. Les deux phases
découvertes poussent malheureusement l’homme à se poser la question du seuil
pour un avortement possible. Ainsi, certains scientifiques finissent par
conclure qu’au stade embryonnaire, il est permis d’avorter, parce qu’il n’y a
pas encore véritablement l’homme ; il peut y avoir peut-être des doutes au
niveau fœtal. Malheureusement, même à ce niveau, certains permettent d’avorter,
parce que, disent-ils, le fœtus est capable de devenir une personne, mais il
n’est pas une personne ; il lui manque l’aspect le plus important d’une
personne : la capacité d’autodétermination, de liberté. En agissant ainsi,
peut-on dire que l’homme maîtrise encore ce processus de la procréation ?
Il devient difficile d’affirmer cela, parce que la maîtrise, comme nous l’avons
vue dans le premier récit, n’est jamais destructrice. Elle est toujours
constructrice à l’exemple du Dieu créateur.
Le texte de la Genèse montre que
Dieu a maîtrisé sa maîtrise en créant par la parole. L’usage de sa parole, nous
l’avons vu, montre la maîtrise de sa violence et crée de la lumière. Dans ce
sens, l’homme devrait à un moment donné, arrêter son impulsion, sa tension
intérieure, son vent agité qui le pousse à tuer son semblable par l’avortement.
En avortant, l’homme ne sait pas maîtriser sa propre maîtrise. S’il est créé à
l’image de Dieu, c’est pour devenir comme Lui par vocation, et donc pour avoir
de la maîtrise de ses pulsions de mort qui le poussent à l’avortement.
En avortant, l’homme, au lieu de
créer de la lumière, comme c’est le cas pour son Créateur, crée de l’obscurité
qui l’engloutit ; car tuer c’est toujours détruire une vie. En agissant
ainsi, l’homme ne sait pas arrêter son impulsion de mort, sa violence qui le
conduit à tuer son semblable. Il refuse même de participer à la procréation
avec Dieu, car nous l’avons vu, Dieu en disant : faisons… au moment de la création de l’humain, il veut que celui-ci
participe à la création par la procréation. Il invite aussi l’homme qu’il crée
à son image et à sa ressemblance de participer à cette œuvre de production de
ses semblables. En avortant, l’homme ne sait même pas avoir confiance en son
créateur qui a voulu qu’il ait un enfant et qui a voulu qu’il participe à la création.
Qu’est-ce l’insémination
artificielle ?
C’est une technique
scientifique qui consiste à recueillir le sperme du mari à la suite d’une
masturbation et à faire pénétrer les spermatozoïdes dans l’utérus de la femme
pour pouvoir féconder l’ovule. Cette pratique est souvent conseillée par le
médecin, dans le cas où le sperme du mari contient peu de spermatozoïdes ou
quand les difficultés physiologiques rendent difficile l’acte sexuel. Nous distinguons
deux types d’insémination artificielle : elle peut se faire dans le
couple, cette fois-là on utilise les gamètes du mari ; ou alors, elle peut
se faire avec donneur, là on utilise les gamètes de quelqu’un qui est extérieur
au couple.[60]
Qu’est-ce que la fécondation in
vitro ?
C’est une technique
de la médecine moderne qui consiste à transplanter l’embryon fécondé en
manipulant les gamètes masculin et féminin dans un verre vers l’utérus de la
femme dans le cas d’une anomalie des trompes chez celle-ci. Elle peut aussi se
faire dans le couple, si les gamètes recueillis sont venus des deux personnes
du même couple, ou avec porteuse, si on fait intervenir une mère qui porte cet
embryon.[61]
Quelle est l’évaluation de ces
deux actes de manipulation par rapport à l’image de Dieu douceur découverte
dans le premier récit de la création ?
Certes la fécondation in vitro et
l’insémination artificielle relèvent d’une louable recherche scientifique de
l’homme qui maîtrise encore très bien l’évolution biologique du fœtus. L’homme
trouve maintenant un moyen pour contourner la stérilité chez l’homme comme chez
la femme. Certains disent même que le désir d’avoir un enfant est enfin assouvi
pour des femmes travailleuses dont la grossesse empêcherait l’exercice de leur
fonction. Avec ces découvertes, même un célibataire peut avoir un enfant. Il
suffit qu’il en manifeste volonté.
Analysant les deux techniques
médicales, nous découvrons tout de suite qu’elles contournent l’acte sexuel.
Pour avoir un enfant, l’homme passe par le prélèvement des gamètes au lieu de
passer par l’acte conjugal. Dans le récit, Dieu les crée homme et femme à son
image pour qu’ils s’accouplent et participent ainsi à la production d’autres
êtres créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. En effet, si Dieu
dit : faisons, c’est pour que
l’homme aussi participe à la production d’autres êtres semblables à lui ;
pas de n’importe quelle manière, mais à travers l’acte sexuel. Voilà le sens
des termes hébreux utilisés : זַכַר וּנְקֵבֲה. Zakar est utilisé pour parler de l’homme
doué d’une bonne mémoire, mais aussi de la virilité ; nēkevah est utilisé pour parler de l’orifice, d’un trou. C’est
après les avoir créé avec ces potentialités qu’il les bénit : soyez
féconds, multipliez-vous, remplissez la terre. C’est pour dire que c’est par
l’acte sexuel qu’ils produiront d’autres êtres.
Sur ces techniques, l’homme doit
aussi, comme Dieu savoir arrêter ses pulsions intérieures qui le poussent à
aller plus loin avec ses recherches scientifiques. C’est toujours positif de
faire des recherches scientifiques et technologiques, car ce qu’elles
produisent aident l’homme dans sa vie terrestre. Le téléphone, la radio, la
télévision, l’internet, etc. sont d’un usage positif à l’homme. Mais l’homme
doit savoir s’arrêter dans ses recherches et doit ainsi se poser la question si
ce qu’il produit est bon pour l’homme. Car, il n’y a pas de recherche pour la
recherche, mais il ne doit y avoir que des recherches pour l’homme. Son
Créateur lui-même a eu le temps de s’arrêter à chaque créature pour
l’apprécier. C’est le sens du refrain :Et Dieu vit que
cela était bon. Le scientifique doit aussi toujours s’arrêter dans ses productions pour
les apprécier par rapport à l’homme qui en fera usage.
Ces deux techniques, en
contournant l’acte sexuel, échappent à la volonté du Créateur de produire des
êtres par relation conjugale. En les créant homme et femme : virilité et
trou, Dieu veut qu’ils se reproduisent par l’acte sexuel. C’est dans ce sens
que toute manipulation qui produirait des êtres en dehors de cet acte, n’est
pas bonne. A un certain moment la science doit s’arrêter et se demander si dans
toutes ses manipulations, ce qu’elle produit est bon. S’arrêter aussi à l’exemple de Dieu, pour laisser
l’autonomie à d’autres domaines de la vie : la psychologie, la
philosophie, la théologie, la morale, …qui ont aussi un mot à dire sur la vie
de l’homme. La science (biologique) pense qu’elle a le monopole de
compréhension de l’homme ; alors que l’homme est bio-psycho-social, même
théologique. La science doit finalement comprendre qu’elle ne peut pas tout
résoudre, elle doit laisser de l’espace à d’autres disciplines de recherche.
Et même dans la procréation
normale des êtres à travers les relations sexuelles, l’homme doit apprendre à
s’arrêter comme c’est le cas de son créateur. Il ne peut pas continuellement
produire des êtres sous prétexte que c’est Dieu qui les donne. Et que dire s’il
est incapable de les supporter ? Il doit, à l’instar de Dieu qui s’est
arrêté le dernier jour, qui a maîtrisé sa maîtrise, arrêter de continuer à
engendrer. Il doit s’arrêter et évaluer si cela est très bon, si les enfants
qu’il engendre il les gardera bien.
L’homosexualité (du grec homos qui signifie semblable) est la
sexualité entre personnes de même sexe. Elle se distingue de l’homophilie qui
est le penchant pour le même sexe. Dans ce sens, nous distinguons
l’homosexualité chez les hommes et le lesbianisme chez les femmes. « L’homosexualité
peut avoir des aspects maladifs (pathologiques), mais l’homosexualité n’est pas
une maladie »[62].
Elle ne correspond à aucune anomalie génétique ou anatomique. Jusque là il n’y
a aucune raison hormonale liée à l’homosexualité, mais elle a des causes psychiques
qu’on ignore. L’attitude de l’Eglise envers cette pratique se résume en
l’accueil des homosexuels et au refus de l’homosexualité, car Dieu aime le
pécheur, mais n’accepte pas le péché.
Le premier récit de la création
affirme que Dieu créa l’homme, à l’image de Dieu, il le créa זַכַר וּנְקֵבֲה (homme et femme, littéralement, virilité et trou) (Gn 1, 27).
Après les avoir créés, Dieu leur demande de se multiplier, de remplir la terre.
En les créant ainsi, Dieu veut qu’ils se reproduisent par relation sexuelle et
une relation entre deux sexes opposés : homme et femme. C’est encore
clair, comme l’affirme la morale que l’intention de Dieu dans ce récit de la
création est de lier sexualité et procréation, car en les créant homme et
femme, virilité et trou, il veut qu’ils se connaissent pour qu’ils se
multiplient par cette relation.
C’est donc là une confirmation du
faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Dieu qui LE crée
homme et femme les invite aussi à produire des êtres à leur image et à leur
ressemblance par relation sexuelle. L’homosexualité est dans ce sens rejetée
par ce passage du récit de la création, car elle veut que les personnes de même
sexe se marient, alors qu’ils sont incapables biologiquement d’avoir des
enfants et leur relation sexuelle s’écarte de l’intention du Créateur dans le
premier récit.
Nous remarquons qu’il y a un
danger de l’activisme qui guette le monde actuel. L’homme travaille tous les
jours voire les dimanches. C’est ce que d’aucuns appellent un monde sans Dieu.
Les universités, les écoles, les industries ouvrent les portes même les
dimanches. Et donc le repos sabbatique n’existe plus. On crée un monde sans
louange, un monde où l’on ne reconnaît pas le Créateur. Et la conséquence
devient claire : le règne de la haine, des guerres, des injustices,…
Ce danger de l’activisme guette
aussi la vie religieuse. La vie religieuse, qu’elle soit monastique ou
apostolique, se fonde sur deux piliers qui sont : la prière et
l’apostolat. Les deux piliers vont de paire et ont comme origine l’amour de Dieu et celui du
prochain. On s’attache à Dieu à travers des exercices spirituels et cela a pour
conséquence l’attachement à l’homme qui est notre frère par une sollicitude
aimante. La vie religieuse garde aussi le sens du travail manuel comme celui
qui produit aux membres ce dont ils ont besoin pour leur survie et pour leur
apostolat envers les pauvres. Dans ce sens le ora et labora est toujours en vigueur dans les congrégations
actuelles. C’est ainsi que nous trouvons des œuvres de charité qui, non
seulement aident les peuples et en particulier « les pauvres », mais
aussi produisent des biens financiers et matériels aux membres des congrégations.
Cependant, il arrive que les
religieux, diminuent leur vigueur de prière pour le travail ou pour
l’apostolat. Il arrive aussi que certains, au non du travail manuel, négligent
les offices, voire la messe en arguant qu’ils doivent vivre et doivent chercher
des moyens pour cela. D’autres encore, au non de l’apostolat, négligent
certaines activités spirituelles ; ils tombent alors à ce moment là dans l’activisme. Que dit le premier récit de
la création par rapport à l’activisme ?
Nous avons découvert dans le
premier chapitre comment Dieu, le septième jour a arrêté son activité pour se
reposer et a fait le sabbat. Dieu a su arrêter son vent violent ; pour
dire que toute activité doit s’arrêter à un moment pour la louange. Dieu se
montre maîtrise de sa propre maîtrise. Dans cet arrêt, il montre aussi son
refus de tout remplir et de laisser quelque chose à d’autres. Il ouvre ainsi
une autonomie à l’univers et à l’humanité. L’homme créé à son image, doit aussi
apprendre à arrêter son activité, bonne ou productive soit-elle, pour permettre
à d’autres de faire quelque chose, mais aussi pour respecter le jour du
Seigneur qui est le sabbat déjà institué par le premier récit de la création.
Arrêter son activité, c’est
maîtriser sa maîtrise, sa violence interne, pour laisser de l’espace à autrui
et à Dieu. Dieu lui-même a compris qu’il devrait laisser quelque chose à
l’homme qui serait son coocréateur et a arrêté sa création. L’homme doit aussi
savoir qu’il ne peut pas tout faire, mais doit apprendre à laisser un espace
d’activité à d’autres et surtout à son créateur dont le sabbat est son jour de
louange. Dans ce sens l’activisme dans la vie religieuse et dans le monde se
voit lui-même rejeté, car il ne laisse pas de l’espace à autrui et surtout pas
à Dieu qui mérite louange.
L’activisme devient ainsi comme
une forme d’égoïsme selon le premier récit de la création, c’est donc priver à
d’autres le travail, l’initiative et même priver à Dieu sa louange.
Nous remarquons beaucoup de
guerres dans le monde, surtout en Afrique : ce continent que certains
appellent un champ de bataille. Il y
a beaucoup de guerres avec des conséquences tout à fait néfastes sur
l’homme : tuerie, viol, vol, pillages… Il y a dans le monde des pays qui
se spécialisent dans la fabrication des armes et qui cherchent des débouchés.
Il faut aussi ajouter que ces pays vivent de cette activité. C’est dans ce sens
qu’ils souhaitent beaucoup de guerres dans le monde et quelques fois, ils les
provoquent même.
Nous remarquons aussi que
d’autres pays, dans l’intention de se protéger contre le danger permanent
provoqué par la production des armes, s’enrichissement en armes. Ils provoquent
ainsi beaucoup de guerres qui en provoquent à leur tour d’autres. La logique
devient : ceux qui sont attaqués, s’enrichissement en armes et réagissent
aussi par les armes et ainsi le cycle continue et la vie devient une vie de
guerre et de violence.
C’est vrai que l’on ne peut pas
arrêter la violence par la violence, sinon on l’enflamme encore davantage.
L’arme efficace contre la violence, c’est la paix, la douceur. Et c’est
l’exemple du serviteur souffrant tel que décrit par le deutéro-Isaïe (Is
52, 13-53, 12) : « la victime, de passive qu’elle était, assume un rôle actif dans la
subversion du processus de la violence qui l’écrase »[63]. C’est ce que Wénin a compris quand il parle des psaumes. Il dit que l’image
du méchant dans ces poèmes est souvent comparable à des bêtes féroces. On les
voit rôder à la recherche du juste, guetter longuement la proie. Il ajoute en
disant que ces figures sont rejetées par une autre, celle de
l’agneau : « opposée à ces fauves, une autre figure animale se dessine, qui n’est
autre que leur victime désignée, l’agneau. Serait-ce à celui-ci qu’il revient
de faire contrepoids ? »[64]. C’est dans ce sens que Jérémie se compare même à un agneau docile mené à
la boucherie lorsqu’il apprend qu’il est victime du complot de ses familiers
qui méditaient sa perte (Jer 11, 18-19). C’est même l’image de Dieu que nous a
révélé le Christ. Et d’ailleurs saint Jean le nomme Agneau de Dieu. C’est dans ce sens qu’il meurt au moment où les
juifs égorgent les agneaux pour la pâque. C’est ce même Dieu qui, dans le
premier récit de la création a maîtrisé le chaos primitif sans le
détruire ; qui est capable aussi de maîtriser sa maîtrise en arrêtant avec
la création pour laisser l’autonomie à l’humain.
La guerre ne peut être combattue
que par la douceur qui conduit à la paix, pas en s’enrichissant en armement
pour terroriser les autres. Que les protagonistes apprennent à maîtriser leur
violence interne pour ouvrir l’espace à la douceur qui arrêterait la guerre.
Ce travail est souvent considéré
négativement, il est alors le propre des esclaves. Dans ce sens, les hommes
libres ne sont pas appelés à travailler manuellement. Cette idée vient d’une
mauvaise compréhension du deuxième récit de la création qui veut que le travail
soit la conséquence punitive du péché par Dieu. En effet, dans ce récit,
l’homme et la femme après qu’ils avaient mangé le fruit, Dieu dit à
l’homme : parce que tu as écouté la voix de
ta femme et que tu as mangé, le sol sera maudit
à cause de toi. C’est dans la peine que tu t’en nourriras… A la sueur de
ton visage tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes au sol.Une interprétation rapide de ce texte peut conduire le lecteur à y voir le
travail comme fruit de la punition divine. Le travail devient une peine, une
sanction que Dieu a infligé à l’homme, parce qu’il a péché.
Et pourtant, au verset 15 de ce
deuxième récit, il est dit que : Le
Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le
sol et le garder. Pour dire que la volonté de Dieu sur l’homme est qu’il
travaille le sol manuellement. Cette idée est encore présente dans le deuxième
récit de la création.
Dieu lui-même est à l’œuvre dans
ce récit en créant. Mais quand il crée l’homme il lui dit de maîtriser la
terre. C’est donc d’y travailler pour y trouver son pain quotidien. C’est par
le travail manuel que l’homme peut développer son milieu naturel. C’est ce
qu’affirme aussi Jean-Paul II : « Le rôle du travail humain devient
un facteur toujours plus important pour la production des richesses
immatérielles et matérielles »[65]. Le
travail manuel n’est pas le fruit du péché ou encore une punition que Dieu a
infligé à l’homme, mais il est une volonté de Dieu dès la création de l’homme.
L’intention du créateur est claire : il veut que l’homme qu’il a créé à
son image soit travailleur et productif. C’est ce travail qui l’humanise, qui
fait de lui une créature exceptionnelle de Dieu. C’est aussi le sens du faisons l’homme à notre image. L’homme doit participer aussi à
la création du monde, il doit créer le monde avec Dieu en le développant par
ses potentialités physiques, intellectuelles, psychiques. L’homme est
coocréateur avec Dieu. C’est par le travail manuel qu’il continue l’œuvre de la
création déjà initiée par son Créateur.
L’homme, différent de l’animal
dont la nature a déjà tout donné, installe son monde par le travail manuel.
Ainsi, il fait de la nature une culture et fait de son milieu, un lieu où il
s’épanouit : « C’est son intelligence qui lui fait découvrir les capacités
productives de la terre et les multiples manières dont les besoins humains
peuvent être satisfaits »[66]. Et d’ailleurs : « Dans l’histoire, le travail et la terre se retrouvent toujours au
principe de toute société humaine »[67]. Quelle façon de travailler ?
Il convient de relever que le
travail qui humanise est toujours comparable à celui de Dieu dans le récit de
la création. Nous observons Dieu à l’œuvre, mais une œuvre dans la douceur.
Dieu ne détruit pas le chaos primitif, mais il le transforme en un lieu propice
pour la vie en l’opposant avec son contraire. C’est une image de Dieu que
l’homme doit suivre dans son action au monde. Nous observons actuellement une
destruction méchante de la nature : déboisement des forêts, pêches en
désordre, chasses d’animaux avec disparition de certaines espèces, exploitation
minière avec pollution, etc. et cela, apporte des conséquences fâcheuses sur
l’homme qui en est l’acteur. L’homme doit suivre l’image de son créateur
travaillant sans détruire le chaos. Dans l’exploitation forestière par exemple,
savoir que le déboisement perturbe l’écosystème qui, à son tour, produit des
perturbations climatiques ; dans l’exploitation minière par exemple,
savoir éviter la pollution de l’air et surtout de l’eau ; dans la chasse
des bêtes, éviter d’exterminer certaines races en chassant à tout instant,
car : « travailler, c’est travailler avec les autres et travailler pour les
autres »[68].
On ne peut donc pas travailler pour les autres en les
détruisant en même temps. Travailler avec les autres ne signifie pas les
exploiter. L’ordre de Dieu de dominer la
terre est adressé à l’humain et donc à tous les hommes. Ce n’est pas
l’apanage d’un individu qui traiterait les autres comme ses sujets en
s’appropriant d’une portion de terre, même si c’est lui qui a les moyens de
production.
L’image de Dieu douceur est une
solution à beaucoup de problèmes de l’homme. L’homme en imitant son créateur
comme celui qui maîtrise sa propre maîtrise, comme celui qui agit avec douceur,
peut transformer son milieu en un lieu beaucoup plus habitable, en un lieu où
il fait beau vivre et ainsi, pourra-t-il affirmer avec Dieu : que cela est très bon.
En conclusion l’on dira que la
Bible nous apparaît comme un manuel plein de violences, surtout quand il s’agit
du premier Testament. Ce qui amène certains chrétiens à sélectionner parmi les
livres de la Bible ceux qui paraissent non violents. La tradition juive n’a vu
aucun problème dans cette violence biblique, c’est ainsi qu’elle garde ces
livres. Le regard de certains chrétiens est critique par rapport à cette
violence : « Le Dieu qu’ont annoncé la Loi et les Prophètes est un être
malfaisant, aimant la guerre, inconstant aussi dans ses jugements et en
contradiction avec lui-même »[69], affirmait Marcion.
Et pourtant, cette Bible, répond
à des questions humaines : « en décrivant des voies à ne pas suivre et des
impasses à éviter. La première de celles-ci est la violence »[70]. En présentant la violence, la Bible nous invite simplement à l’éviter en
imitant les images de Dieu qu’elle fournit. Elle est une collection d’images de
Dieu que l’homme doit suivre parce qu’il est créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu. C’est dans cette logique que nous avons découvert dans le
premier récit de la création l’image d’un Dieu douceur. Et cette image
combattrait selon nous toute violence.
La violence vient de l’homme
quand il ne sait pas arrêter ses pulsions internes. Cette violence se manifeste
dans le monde extérieur par le mauvais traitement de son semblable et d’autres
créatures. Nous notons des conflits armés, des violences sexuelles, des
tricheries, des tueries, des déforestations méchantes, des chasses avec violence
qui font disparaître certaines espèces animales, etc. Cette violence détruit
vraiment l’homme et la nature.
Le Dieu du premier récit de la
création crée à partir de quelque chose : le chaos primitif. Il ne le
détruit pas, mais le maîtrise en créant son contraire. Le Dieu de ce récit,
crée des choses bien, c’est dans ce sens que l’auteur met dans sa bouche
plusieurs fois l’exclamation : Dieu vit que cela était bon. Il crée par la parole, une parole qui est la maîtrise de son souffle
violent. Cette parole crée la lumière qui éclaire l’obscurité du chaos. Quand
il crée l’homme à son image, il lui demande de maîtriser les choses du monde,
mais aussi lui donne comme nourriture le végétal et non l’animal. Le septième
jour, Dieu se montre davantage comme maîtrise de sa maîtrise en arrêtant sa
création. C’est comme s’il s’obligeait d’arrêter de créer et de se reposer en
vue de laisser l’autonomie à l’univers et surtout à l’homme qu’il a créé à son
image et à sa ressemblance. Il apparaît que l’image de Dieu dans ce récit est
la douceur.
L’homme doit ainsi, devenir
douceur à l’image de Dieu telle qu’elle est présentée dans le premier récit de
la création. Parce que l’expression : l’homme est créé à
l’image de Dieu,n’est pas une possession, mais
une acquisition. L’image d’un Dieu-douceur, maîtrise de sa maîtrise est une
solution à toute violence dans le monde. C’est dans l’imitation de la douceur
de Dieu dans le premier récit de la création que l’homme peut amener la paix
dans un monde déchiré par tant de guerres. Par la douceur, il peut traiter son
semblable dans sa dignité, peut traiter la nature avec respect. Là, il saura
maitriser, comme son créateur, sa propre force, ses propres pulsions internes.
Ce n’est que dans cette mesure qu’il saura aussi observer le sabbat comme jour
de louange à Dieu son créateur. Et ainsi, il peut dire que : tout ce qu’il
réalise est très bon.
1. Versions bibliques
1.
Bible de Jérusalem, Cerf/verbum bible, Rome, 1999
2.
Biblia Hebraïca, württembergische
bibelanstalt Stuttgart, 1937
2. Ouvrages
principaux
3.
BEAUCHAMP, P., Création et séparation. Etude exégétique du
chapitre premier de la Genèse, Cerf, 1969
4.
WENIN, A., La Bible ou la violence surmontée, Desclée de Brouwer, Paris,
2008
5.
WENIN, A., Pas seulement de pain. Violence ou alliance
dans la Bible, Cerf, Paris, 1998
3. Autres ouvrages
- BEDOUELE, G. ET ALII, L’Eglise et la sexualité. Repères
historiques et regards actuels, Cerf, Paris, 2006
- CHARPENTIER, E., Pour lire l’Ancien Testament, Cerf,
Paris, 1981
- DHEILLY, J., Le peuple de l’Alliance, de l’école, Paris, 1954
- GELINEAU, J. et CHIFFLOT, Th, Les psaumes, Cerf, Paris, 1955
- HERVIEU-LEGER, D. dir, Religion et Ecologie, Cerf, Paris,
1993
- JEAN-PAUL II, Evangelium vitae, Encyclique sur la valeur et l’inviolabilité de
la vie humaine, Texte présenté et annoté par les Jésuites des cahiers
pour croire aujourd’hui, Desclée de Brouwer, 1995
- JEAN-PAUL II, Centésimus Annus. Lettre Encyclique, Saint-Paul Afrique,
Kinshasa, 1991
- KUEN, A., Introduction au Nouveau Testament. Les Lettres de Paul, Emmaüs,
Saint-Liège, 1989
- LARCHER, L., La face cachée de l’écologie, Cerf, Paris, 2004
- NDAYWEL E NZIEM, I., Histoire Générale du Congo. De
l’héritage ancien à la RDC, préfacé par Théophile OBENGA, Afrique
édition, Paris, 1998
- OSTY, E. et TRINQUET, J., La Bible. Genèse, Edition
Rencontre, Pais, 1969
- SCHOOTYANS, M., La face cachée de l’ONU, Du
jubilée, 2000
- WILDBERG, H., Le Monde biblique, Silva Zurich
- WENIN, A., Actualité des mythes. Relire les récits mythiques de la Genèse
1-11, CEFOC, 1997
- Apprendre à lire la Bible
4. Dictionnaires
- BAILLY, A., Dictionnaire Grec-Français, Hachette, Paris, 1950
- Concordance de la Bible TOB, Société biblique française, Cerf, Paris, 1993
- Dictionnaire Encyclopédique Quillet, Paris, 1975
- COHN Marc, M., Nouveau Dictionnaire hébreux-français Larousse, Paris, 1985
- Théo. Encyclopédie catholique, Fayard, 1979
5. Cours, Revues et Travaux
- CahiersEvangile, Cerf, Mai
1973
- KAYEU, B., Responsabilité morale de l’africain face à la crise écologique, TFC,
2011-2012
- MONGA, P., Cours de Bioéthique, Inédit, Scolasticat BX Jean XXIII,
2010-2011
EPIGRAPHE……………………………………………………………………………….I
DEDICACE………………………………………………………………………………..II
AVANT-PROPOS………………………………………………………………………..III
[5]Ndaywel
E Nziem, I., Histoire Générale du Congo. De l’héritage ancien à la RDC, préfacé
par Théophile Obenga, Afrique
édition, Paris, 1998, p.315
[6]Jean-paul II, Evangelium vitae, Encyclique sur la valeur et l’inviolabilité de la vie
humaine, Texte présenté et annoté par les Jésuites des cahiers pour croire
aujourd’hui, Desclée de Brouwer, 1995, p.12
[8]Kayeu,
B., Responsabilité morale de l’africain
face à la crise écologique, TFC, Inédit, 2011-2012, ISPTK, p.6
[20] Cf. Bailly, A., Dictionnaire Grec-Français, Hachette, Paris, 1950, pp 1981-1982
[22]
Dans le premier récit selon l’ordre de la Bible, sur le passage du don de la
nourriture aux humains, Dieu trace une limite en donnant à l’homme pour
nourriture les végétaux et non les animaux (1, 29). Dans le second, Dieu pose
une limite entre tous les arbres dont l’humain peut manger et l’arbre de la
connaissance du bien et du mal qu’il ne peut pas manger. Dans tous les cas,
tout est donné, sauf quelque chose. Dans Gn 1, 28b, Dieu demande à l’homme de
dominer la terre, de soumettre les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et
toute bête qui rumine ; dans le second, sur le travail, le Seigneur Dieu
prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le
garder (Gn 2, 15).
[23]Grelot,
P., Homme, qui es-tu ? Les onze
premiers chapitres de la Genèse, In « Cahiers Evangile », N°4,
Cerf, Mai 1973, p.29
[24]
La mentalité pessimiste des mésopotamiens serait venue de leur position
géographique dans une vallée imprévisible provoquant parfois des véritables
déluges dont on a trouvé parfois des traces dans les fouilles archéologiques.
Ils sont souvent envahis par des nomades venus de l’Arabie. Aussi les dieux
mésopotamiens sont-ils souvent capricieux, sans cesse en lutte entre eux.
L’homme cherche à se garder contre leurs coups.
[25]Grelot,
P., Homme, qui es-tu ? Les onze
premiers chapitres de la Genèse, In « Cahiers Evangile », N°4,
Cerf, Mai 1973, p.22-23
[26]Grelot,
P., Homme, qui es-tu ? Les onze
premiers chapitres de la Genèse, In « Cahiers Evangile », p.21
[28]Beauchamp,
P., Création et séparation. Etude
exégétique du chapitre premier de la Genèse, Cerf, 1969, p.39
[33] Cf. Wenin, A., Pas seulement de pain. Violence et alliance dans la Bible, p.27
[34] Cf. Wenin, A., Actualité des mythes. Relire les récits mythiques de la Genèse 1-11, CEFOC,
1997, pp 91-92
[36] Cf. Wenin, A., Actualité des mythes. Relire les récits mythiques de la Genèse 1-11, p.100
[37] Cf. Wenin, A., Actualité des mythes. Relire les récits mythiques de la Genèse 1-11, p.94
[44] Cf. Wenin, A., Pas seulement de pain. Violence et alliance dans la Bible, pp.29-30
[51] Cf. Wenin, A., Pas seulement de pain. Violence et alliance dans la Bible, p.37
[58]Bedouele,
G. EtAlii, L’Eglise et la sexualité. Repères historiques et regards actuels, Cerf,
Paris, 2006, p.155
[59]Monga,
P., Cours de Bioéthique, Inédit,
Scolasticat Bx Jean XXIII (Kolwezi), 2012-2013, pp.15-16
[60] Cf. Monga, P., Cours de Bioéthique, pp.37-38
[61] Cf. Monga, P., Cours de Bioéthique, pp.40-41
Ca fais un temps de silence. c'est bon comme vs venez de reprendre les activités
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