La civilisation moderne, signe révélateur du malaise humain.
une mise en question générale de notre civilisation
« Civilisation de la vitesse, de la production, notre société écrase l’humanité. L’espace et le temps lui deviennent étrangers. La ville brise les contacts, alors qu’elle pourrait les renforcer ; les nationalismes divisent les pays au lieu de les rapprocher ; la pollution rend la terre bientôt inhabitable. Les exemples pourraient être multipliés, qui indiquent l’inquiétude, le désarroi de l’être humain dans l’espace vital. »[1]
Vraiment, il s’agit d’un vertige général qui s’amplifie et qui entraine dans un tourbillon l’ensemble de l’humanité contemporaine, malgré la diversité des cultures. L’homme a acquis, par son effort, un pouvoir tel, sur le monde et sur lui-même, que les conséquences de ce pouvoir lui échappent et le menacent directement jusque dans l’éventualité d’une survie. André Bieler dit :
« Le péril qui nous menace est double. Il s’agit, d’une part, de l’explosion non contrôlée et ravageuse du développement technologique dans l’hémisphère nord, avec ses retombées sur toute la planète ; et d’autre part, de la propagation galopante du cancer de la misère dans l’autre hémisphère ».[2]
Une telle affirmation, en effet, fera sans doute hurler tel ou tel optimiste convaincu, tributaire de la généreuse naïveté, scientifique, surgie à la fin du siècle dernier ; c’est pourquoi Karl Jaspers dit que « nous voulons tous avoir confiance ; nous le voulons à bon droit, lorsque nous la plaçons là où elle est inattaquable, mais à tort quand elle est prématurée et funeste, quand ce n’est qu’une dérobade ».[3] Actuellement, il semble que les tendances à une concurrence croissante dans les dimensions particulières de l’action humaine ne puissent, dans leurs effets, être dérivées vers l’extérieur ou vers l’avant, mais ricochant contre les limites d’un système fini, elles se retournent contre nous-mêmes. Il est ainsi à craindre que notre action devienne paradoxalement autodestructrice. Le système économique qui doit contribuer à la satisfaction des besoins fondamentaux, met en danger ses propres fondements vitaux. Le système politico administratif qui doit assurer un vivre ensemble pacifique ne peut plus maîtriser les mécanismes d’escalade de la puissance et ne peut plus répondre que par des menaces aux menaces d’anéantissement, ce qui entraîne l’autodestruction. Le système socio culturel qui doit permettre une plus grande autodétermination, grâce à l’extension de la communication, menace de conduire à un plus grand isolement et à une conscience fragmentée de fiction sous l’influence d’une industrie internationale des média. Tout cela se passe à une échelle mondiale et agit avec toujours plus de force sur la population croissante. On n’en vient justement à se poser par la force de choses l’incroyable question de savoir: s’il faudrait renoncer au progrès et à ses conséquences pour simplement survivre.
Il n’est pas pensable qu’on renonce au progrès. Mais il faut de la vigilance. C’est pourquoi Chantal Delsol nous dit que « L’homme de la vigilance est un garant perpétuel toujours utile au monde et toujours signifiant. Il vaut indéfiniment, parce que seul, il maintient la présence d’un bien même précaire, prêt à disparaitre hors de sa surveillance ».[4]
Sur cet horizon, Habermas tente d’expliquer le développement des individus et des sociétés dans leur indépendance et de découvrir les causes de leurs pathologies. Il fait à l’aide d’une reconstruction des degrés de différentiation sociale, qui montre comment de sous - systèmes d’action ciblée rationnellement se dissocient peu à peu d’un univers devenu communicatif, comment ils se développent, recouvrent et dévorent ce qui existait naturellement.[5] Effectivement, la modernité est précisément marquée par ces processus de rationalisation d’une raison instrumentale et fonctionnaliste qui colonise l’univers et sa raison communicative. ( La suite dans quelques heures).
[1] J.L. blondel, science sans conscience ?, paris, 1980, p.145.
[2] A. Bieler, le développement fou. Le cri d’alarme des savants et l’appel des Eglises, p.21.
[3] K. Jaspers, la bombe atomique et l’avenir de l’homme, paris 1963, p.639.
[4] C. Delsol, Le souci contemporain, paris, 2004, p.311.
[5] Projet de la modernité dans la pensée de Jürgen Habermas, in concilium n°224, 1992, p.41.
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